Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/875

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et une force d’expansion qui ont comblé toutes les espérances ; elle vient de traverser sans faiblir la plus terrible crise, et, s’il est juste de tenir compte de la surcharge d’impôts qui pèse sur elle, on n’aperçoit pas que sa vitalité en soit assez profondément atteinte pour exiger l’emploi de remèdes surannés. Là où le travail s’est ralenti, il serait facile d’en marquer les causes, générales ou locales, auxquelles l’action du tarif français ne pourrait rien. Quant aux tarifs étrangers, est-il besoin d’insister sur le préjudice qui résulterait de leur aggravation, non point seulement au point de vue de notre intérêt, mais encore pour le principe même de la réforme? Les relèvemens de taxes sur les produits fabriqués, lors même qu’ils seraient motivés uniquement par des considérations financières, rappelleraient les idées de protection et ranimeraient des luttes stériles. Si les gouvernemens d’Italie, d’Autriche et d’Allemagne sont résolus, comme ils l’affirment, à pratiquer la liberté des échanges, ils commettraient une faute en procurant au parti adverse l’apparence d’un premier succès.

Quelle est donc, en résumé, la règle de conduite qui se recommande à la diplomatie comme aux pouvoirs publics, pour la conclusion de nouveaux traités et pour la rédaction du tarif général ? Cette règle est toute tracée par l’expérience qui vient d’être faite. Avant 1860, les promoteurs de la liberté du commerce ne pouvaient citer à l’appui de leur thèse que l’exemple de la Grande-Bretagne; aujourd’hui c’est l’exemple même de la France qu’il leur est permis d’invoquer. Comment hésiterait-on à persévérer dans l’œuvre de réforme? La doctrine, les intérêts, les leçons de l’histoire s’accordent pour conseiller l’achèvement de ce qui a été commencé. Il ne faut pas oublier que les tarifs actuels sont plus rigoureux que ne l’étaient ceux de Colbert au XVIIe siècle, et l’on reculerait devant un nouvel effort! on jugerait téméraire une législation qui a été pratiquée il y a plus de deux cents ans ! Cette politique timide, rétrograde, est désormais condamnée. Sans doute, il se produira des objections : le parti protectioniste est disposé à reprendre la lutte, et il voudra, dans cette circonstance décisive, rassembler toutes ses forces ; certains intérêts vont se liguer pour réclamer des délais et des enquêtes ; mais ces argumens et ces procédés sont aujourd’hui trop connus pour que les assemblées législatives s’y laissent arrêter. Les démonstrations historiques qui se dégagent des récens écrits de MM. Amé et de Butenval attestent que l’agriculture, l’industrie et le commerce ont tout à gagner au succès trop longtemps retardé de la réforme économique, et que l’on doit hâter l’heure où la liberté des échanges sera définitivement consacrée par le droit des gens.


C. LAVOLLEE.