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qu’elle avait abandonné le régime protecteur parce qu’elle pouvait s’en passer, et l’on se défiait de ses conseils et de ses avances. L’impression fut différente quand on vit la France entrer à son heure dans le mouvement libéral. La prohibition fut mortellement frappée à la suite d’une défection aussi éclatante. La liberté des échanges n’apparaissait plus comme une doctrine exclusivement anglaise, appropriée aux intérêts d’une nation que la supériorité incontestable de son industrie défendait contre les périls de la concurrence. En passant par la France, elle devenait moins suspecte et elle prenait un caractère plus pratique. Reconnaissons ici le rayonnement de propagande qui de tout temps, et surtout depuis le commencement de ce siècle, a répandu au dehors les réformes que notre pays a introduites dans le système général de ses lois. De même que la législation civile, le règlement des intérêts industriels et commerciaux nous avait été emprunté par les peuples qui nous entourent, et ceux-ci, après avoir appliqué, d’après notre exemple, le régime de la protection douanière, se montrèrent facilement disposés à suivre notre évolution vers la liberté du commerce. Pour eux comme pour la France, le moment de la réforme était venu. Ils ne pouvaient d’ailleurs, à moins de sacrifier de graves intérêts, demeurer sourds au signal qui leur était donné par une nation avec laquelle ils avaient tant de points de contact et tant d’occasions d’échange. Si importante que fût la place occupée par l’Angleterre dans le commerce général du monde, le rôle de la France, au regard du continent européen, n’était pas moins considérable. Pour les contrées limitrophes, pour la Belgique, l’Allemagne, la Suisse, l’Italie, l’Espagne, le développement des relations commerciales avec la France ne présentait pas un moindre intérêt que le trafic avec l’Angleterre. Dès lors, la politique libérale adoptée par la France s’imposait à l’Europe entière; elle eut pour résultat presque immédiat de faire tomber partout la prohibition et de remplacer une législation d’ancien régime par des règlemens plus conformes au progrès moderne. C’est ainsi que le traité de 1860 mérite d’être rangé au nombre des événemens les plus mémorables de notre temps. Honorable et avantageux pour la France, profitable pour tous les peuples qui en ont réclamé le bénéfice, il a démontré une fois de plus l’influence initiatrice et prépondérante qui nous appartient dans les œuvres de civilisation et de liberté.

Les survivans de la doctrine protectioniste ne manquaient pas cependant de raisons spécieuses pour alléguer que l’ancien régime, dont ils plaidaient si énergiquement le maintien, avait été favorable au progrès industriel et aux relations internationales. Ils produisaient des statistiques attestant que le travail manufacturier s’était