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les autres pays, atteints par les mesures douanières qui fermaient à leurs produits l’accès des marchés français, n’eussent recours aux représailles. Dès 1818, le duc de Richelieu adjurait la chambre des députés « de ne pas se laisser séduire par un système exclusif d’isolement et de prohibition. » Le baron Pasquier protestait également contre les exagérations auxquelles on se laissait entraîner en France et dans toute l’Europe, contre la fausse direction qui était partout imprimée à la législation économique. « Chaque nation, disait-il, s’est retranchée sur les hauteurs. Il faudra bien, à la longue, abandonner cette position et redescendre dans la plaine. » En 1825, M. de Villèle, résistant aux exigences des fabricans de tissus, rappelait que « toute prohibition doit avoir un terme. » Dans les nombreux débats parlementaires qui se sont succédé de 1816 à 1828 au sujet des lois de douanes, on remarque la modération relative des organes du gouvernement. Cependant les plus sages observations échouaient contre le parti-pris de la passion politique ou des intérêts. Chaque loi nouvelle provoquait des prétentions et des plaintes. Les agriculteurs, ou du moins les grands propriétaires qui les représentaient dans les chambres, prétendaient obtenir un surcroît de protection; les industriels se plaignaient d’être sacrifiés à l’agriculture, qui pouvait élever le prix des matières premières, et ils réclamaient à leur tour le bénéfice des tarifs prohibitifs; enfin, parmi les industriels, chacun voulait être protégé à l’égal des autres. C’était de tous côtés un bruyant concert de récriminations. Le gouvernement essaya de dégager sa responsabilité en organisant une commission d’enquête chargée d’étudier les ressources et les besoins de chaque branche de travail et de tracer une sorte de programme de la législation économique. La commission d’enquête de 1828, tout en proclamant la nécessité de pratiquer le régime protecteur, conclut à l’abaissement de certaines taxes, et se rallia en général aux opinions que le gouvernement avait soutenues. La révolution de 1830 empêcha qu’il ne fut donné suite à ses propositions qui, dès l’année précédente, avaient été présentées à la chambre des députés sous la forme d’un projet de loi.

Ce fut ainsi que le régime de la protection s’établit et se consolida sous la restauration : de 1814 à 1830, il inspira toutes les lois douanières, et il acquit la force d’un principe gouvernemental, défendu par des intérêts nombreux et puissans, non pas seulement dans les régions aristocratiques, mais encore dans les classes moyennes dont la révolution venait consacrer le triomphe. Les ministres que cette révolution avait amenés au pouvoir étaient partisans des doctrines libérales, ils estimaient que la législation économique, avec ses restrictions exagérées, avait fait fausse route, et