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par les décrets de Milan, sanctionné enfin par le décret de 1810 qui, soumettant les contrebandiers et les fraudeurs à des cours prévôtales, les punissant des travaux forcés et de la marque, ordonnait la confiscation des marchandises saisies, qui devaient être ensuite solennellement brûlées en place publique! Il s’est rencontré des historiens pour justifier, pour glorifier même comme une grande conception le blocus continental. Condamnée par les moyens barbares dont elle était obligée de faire usage, cette grande conception échoua complètement. Le blocus exaspéra l’Angleterre sans la ruiner, il indisposa contre la France l’Europe entière; il fut constamment violé, non-seulement par la contrebande, qui s’alimentait en quelque sorte à la flamme des bûchers où la main des douaniers entassait les marchandises suspectes, mais encore par le système des licences, que l’empereur s’était bientôt vu forcé d’adopter, sous peine de réduire à néant le commerce de nos ports. De tels procédés, à supposer que par impossible ils réussissent, seront toujours de détestables instrumens de guerre, parce qu’ils frappent du même coup ceux qui les emploient et ceux que l’on veut atteindre. Tel fut le résultat de ce fameux blocus continental. Il faut ajouter pourtant qu’à l’époque où il fut décrété, il obtint l’approbation des manufacturiers. Le Moniteur publia les adresses de plusieurs chambres de commerce qui, en termes pompeux, glorifiaient les édits de proscription lancés contre les ballots anglais. Au point de vue de l’histoire du tarif, il n’est pas indifférent de noter ce symptôme. Le régime établi par la guerre avait remis la prohibition en honneur et rendu courage à ses partisans. Il ne pouvait plus être question des doctrines libérales de 1791, et, lorsque revint un état de choses régulier, on s’aperçut de la puissance qu’avaient acquise les intérêts prohibitionistes en France, en Angleterre, dans toute l’Europe. La politique de guerre, et en particulier le blocus continental, avaient ainsi causé au monde entier un immense dommage en faisant échec aux idées de réforme.

Le gouvernement de la restauration avait à choisir entre l’ancienne tradition monarchique, tradition devenue libérale en matière de commerce, et la politique de prohibition presque absolue, qui, après avoir été une arme de guerre, était désormais entrée dans les mœurs industrielles. Les manufacturiers se montraient d’autant plus ardens à réclamer le maintien de ce système de protection qu’ils pouvaient avec trop de raison redouter la concurrence des fabriques étrangères, qui s’étaient développées en profitant de nos fautes et de nos désastres. Alors que des chambres de commerce déclaraient que « la prohibition est de droit politique et social, » alors qu’on entendait proclamer, à la chambre des députés, « la nécessité de la prohibition éternelle, » il était impossible