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Les corporations, placées sous le patronage de la couronne, réclamaient sans cesse faveurs et privilèges ; il était difficile au souverain de leur refuser son appui contre la concurrence étrangère, alors qu’à l’intérieur même elles voulaient être défendues les unes contre les autres par les règlemens les plus stricts. Bref, avant Colbert, la législation douanière était aussi incohérente que compliquée, l’expédient et le caprice tenaient lieu de système, l’intérêt général du pays ne se dégageait pas des intérêts particuliers et souvent contradictoires de chaque région, de chaque corps d’état, et il serait impossible de retracer sûrement, avec des élémens aussi confus, l’histoire économique de cette période.

Le grand mérite de Colbert fut de rédiger le premier tarif uniforme, qui a servi de point de départ à notre législation douanière. Dans sa pensée, le tarif de 1664 aurait dû être complété par la suppression des douanes intérieures, des péages particuliers et des taxes locales. Cette réforme avait été réclamée antérieurement par les états-généraux de 1561 et de 1614; mais sur ce point Colbert échoua contre la résistance des intérêts provinciaux et corporatifs. Il se borna donc à régler les rapports avec l’étranger en supprimant les prohibitions, en modérant les droits d’entrée et de sortie, et en simplifiant le mode de perception. Le tarif de 1664 était très libéral : aussi fut-il immédiatement attaqué par les industriels, qui se plaignaient de ne pouvoir supporter la concurrence, et dès 1667 Colbert fut obligé de le réviser. Il n’y aurait aucun intérêt à entreprendre aujourd’hui l’examen détaillé de ces premiers tarifs; qu’il suffise de signaler d’une part les vues progressives de l’administration de Colbert, d’autre part les appréhensions, les protestations des manufacturiers. Et cependant Colbert, qui avait essayé à grands frais de transplanter sur le sol de France les industries étrangères, Colbert, qui avait constitué des compagnies privilégiées, des monopoles, ne pouvait être accusé de vouloir sacrifier à un principe le travail national. Mais dès cette époque le gouvernement se trouvait aux prises avec les intérêts ; le gouvernement, bien qu’il s’appelât Louis XIV, était obligé de compter avec les frayeurs, sincères ou feintes, des fabricans et des ouvriers. Vainement l’habile ministre démontrait que l’industrie française plaçait avantageusement ses produits sur tous les marchés et que la concurrence pouvait être pour elle un stimulant, non un péril ; ses raisonnemens et ses statistiques se heurtaient contre la résistance obstinée des corporations. C’est le premier chapitre de cette histoire de la législation douanière. Il en sera de même des chapitres qui suivront. Il y manquera des hommes tels que Colbert ; mais on y retrouvera, comme au XVIIe siècle, la timidité, l’âpreté, l’aveuglement des intérêts privés, exploitant à leur profit les guerres, les révolutions, les restaurations,