Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/840

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un accent théâtral qui fait souvent un effet grotesque. Puis les idées deviennent de plus en plus confuses ; la volonté et le jugement n’existant plus, la conception des idées, abandonnée à elle-même, devient désordonnée et délirante ; en un mot, c’est un état de sommeil avec rêve, presque analogue à ce qui se passe dans le sommeil ordinaire.

Peut-être ne sera-t-il pas hors de propos de rappeler ici en quelques mots les faits psychologiques du sommeil. L’individu qui est éveillé est parfaitement maître de lui-même; il conduit sa pensée et dirige ses conceptions dans tel sens qu’il lui convient : pendant que des idées de toute sorte se succèdent et passent devant sa volonté, il peut s’arrêter quand bon lui semble et fixer son attention de manière à garder fidèlement le souvenir de celle qu’il a choisie comme digne de mémoire; mais que le sommeil vienne à le prendre, ce pouvoir disparaîtra. Les idées deviendront plus fugitives, plus rapides ; il sera impossible de faire halte, le jugement ne sera plus là pour rectifier sans cesse le concept désordonné et tumultueux des formes Imaginatives, et les idées déraisonnables, absurdes, fantastiques se succéderont sans relâche; à mesure qu’elles deviennent plus déraisonnables, l’attention et la mémoire faiblissent de plus en plus, et nous ne pouvons saisir le moment mathématique où la conscience de nous-mêmes disparaît. Volontiers je prierais mon lecteur de faire une semblable étude sur lui-même et de chercher à reprendre le fil de ses conceptions, au moment où il s’endort. Il verra qu’on ne s’endort jamais brusquement, et que le premier effet du sommeil semble être la perte de l’attention et de la volonté. La conception et l’association des idées restent cependant intactes, en ce sens que jamais les idées ne sont plus vives que dans ce moment de transition entre la veille et le sommeil. Pour M. Baillarger, c’est à cette période intellectuelle que les hallucinations surviennent le plus fréquemment. Si je pouvais citer mon propre exemple, je dirais que, suivant le conseil de M. Brierre de Boismont, je me suis exercé à voir des idées sous des formes réelles, de sorte que, pour m’endormir, je cherche à avoir des représentations des objets; dès que je commence à avoir devant les yeux un objet qui me paraît réel par la netteté de ses contours, je suis assuré que c’est le commencement du sommeil, car, à l’état de veille, je ne puis rien avoir de semblable. Souvent cet objet est tout à fait inattendu, et il est remplacé par un autre aussi surprenant : les images vont ainsi en s’effaçant les unes les autres, sans que ma volonté puisse les modifier; en un mot, c’est une sorte de kaléidoscope dont le moi est simple spectateur. J’essaie en vain d’en conserver la mémoire : il n’y a pas de fin à ce spectacle changeant, il n’y a pas de dernière image. Le souvenir est de plus en plus confus, et finalement