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de tous, est aussi le plus sensible, et même, dans les différentes races humaines, ce sont encore les races les mieux douées pour l’intelligence dont la sensibilité est la plus parfaite. La disposition anatomique des centres nerveux est en rapport avec cette coïncidence; c’est chez l’homme que les cordons postérieurs de la moelle épinière sont le plus volumineux comparativement aux cordons antérieurs. Or les cordons antérieurs transmettent les excitations motrices aux nerfs, tandis que les cordons postérieurs servent à la conduction des excitations sensitives; de même encore les lobes postérieurs du cerveau sont, relativement à ce qui existe chez les animaux, plus développés chez l’homme que les lobes antérieurs. Or c’est dans les lobes postérieurs que semble se faire la perception des excitations sensitives.

Ce rapport étroit entre l’intelligence et la sensibilité n’a rien d’ailleurs qui doive nous surprendre. En effet, quelle que soit l’influence du développement spontané de l’intelligence même, selon la constitution propre du cerveau qui est son organe, il n’en est pas moins vrai que toutes nos connaissances viennent de nos sensations et du travail cérébral qui en résulte. L’intelligence est en quelque sorte le produit de ces deux facteurs, et les notions extérieures, élaborées et fécondées par la spontanéité de l’esprit, forment la personnalité des individus. Nous avons donc le droit, quand nous voyons l’anatomie, la physiologie et la pathologie établir entre la sensibilité et l’intelligence un rapport étroit, de dire que la psychologie consacre les données positives fournies par ces trois sciences.

Les poisons qui agissent sur l’intelligence sont donc par cela même des poisons de la sensibilité. L’alcool n’est pas en cela différent du chloroforme. Au début de l’ivresse, il y a déjà une insensibilité notable; mais à la période comateuse l’insensibilité est absolue, tout comme à la dernière période du chloroforme, de sorte que l’intoxication par le chloroforme suit une marche parallèle à l’intoxication par l’alcool, et on peut distinguer une première période d’ivresse proprement dite, et une seconde période de sommeil ou de coma.

Quand quelqu’un se met à respirer du chloroforme, les premières bouffées commencent par l’étourdir, il est pris d’une sorte de vertige et d’éblouissement fort désagréable. Ce vertige va en augmentant, et à mesure que le patient continue à respirer la substance toxique, ses idées s’exaltent de plus en plus. Il entend tout ce qu’on dit et y répond, mais il y répond comme un individu ivre, d’abord en exagérant ses impressions, et en dépassant la mesure; son jugement a déjà disparu, et il donne aux réponses les plus insignifiantes