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fait de grands ravages. D’après les statistiques, chaque habitant, en exceptant les femmes et les enfans, consomme environ 100 litres d’alcool par an. Le dimanche, dans les villages, il est rare de rencontrer quelqu’un qui ne soit pas ivre. Cependant les Suédois sont un peuple laborieux, instruit, et un des plus honnêtes de l’Europe. En Russie, la consommation de l’alcool est énorme et malheureusement encouragée par les fermiers de l’impôt. Outre les eaux-de-vie de grain, telles que le vodki et le kummel, il y a quelques autres boissons alcooliques fort répandues, le brega ou bière blanche, le symorosli ou vin de bouleau, produit par la fermentation de la sève du bouleau. Les Tartares de l’est boivent le lait de jument fermenté, liqueur très alcoolique, connue sous le nom de koumys. Au contraire, dans les climats tempérés et dans les contrées du sud de l’Europe, l’ivrognerie est un vice rare. Les Espagnols sont d’une sobriété proverbiale. Les Grecs, les Italiens, les Turcs, ne se livrent que très rarement à des excès de boisson. En France, heureusement, l’alcoolisme est peu répandu. Absolument rare dans le sud de la France, il est plus commun dans le nord, notamment en Bretagne, en Normandie et en Flandre. En somme, les excès de boisson tuent chaque année une moyenne de 50,000 personnes en Angleterre, de 40,000 en Allemagne, de 25,000 en Russie, de 4, 000 en Belgique et seulement de 2,000 en France.

Les peuples réduits en servitude ou ayant émigré pour suffire à leur existence sont rarement sobres ; ils boivent pour oublier leurs maux. Les Irlandais et les Polonais sont dans ce cas, et, de tous les peuples européens, ce sont peut-être les plus adonnés à l’ivrognerie. En Asie, les Chinois sont généralement assez sobres chez eux; mais quand ils émigrent, soit aux États-Unis, soit en Cochinchine, soit aux Indes, soit dans les différentes îles de l’Asie orientale, ils deviennent ivrognes avec frénésie, et boivent soit de l’eau-de-vie de riz, soit les eaux-de-vie de grains, que les Anglo-Saxons, peu soucieux de moralité, débitent à bas prix.

Il est curieux de voir à quel point les peuplades sauvages, en présence de la civilisation européenne, ont immédiatement emprunté à cette civilisation ce qu’elle avait de plus pernicieux, c’est-à-dire l’usage des liqueurs fortes. En Amérique les Indiens Sioux, en Australie les misérables tribus de l’intérieur, consomment des quantités colossales d’eau de feu ; le mal fait chez eux de si effrayans progrès, que ces peuplades auront probablement bientôt disparu devant les envahisseurs. Sur toutes les côtes de l’Afrique, en Guinée, au Congo, au Cap, en Abyssinie, les comptoirs européens débitent aux indigènes des liqueurs fortes qui ravagent les tribus. L’eau-de-vie de millet, de miel, les vins de palmier, de dattes, de bananier ne leur suffisent pas : il leur faut nos eaux-de-vie