Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/824

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Prenons un exemple qui éclaircira cette proposition. La combustion du charbon dans un air confiné produit un gaz toxique, l’oxyde de carbone. C’est par l’oxyde de carbone que meurent les infortunés qui tentent de se suicider en brûlant du charbon dans une chambre hermétiquement fermée. Or l’oxyde de carbone agit spécialement sur un élément anatomique particulier, sur les globules rouges du sang, et tous les symptômes de la mort par l’oxyde de carbone sont la conséquence de cet empoisonnement du sang. Cela signifie que le sang meurt avant les autres tissus, et que, si ceux-là finissent par mourir, cela tient seulement à ce qu’ils sont privés de sang vivant, ce sang vivant étant indispensable à leur existence propre. Aussi la mort par hémorrhagie présente-t-elle les mêmes phénomènes que la mort par l’oxyde de carbone, et on peut dans l’un et l’autre cas rendre toutes les apparences de la vie à l’animal empoisonné, en restituant à son organisme le sang dont il est privé dans le premier cas, et qui dans le deuxième cas est impropre à la vie. L’analyse physiologique a même été plus loin; on a non-seulement reconnu que le sang était empoisonné, mais encore on a déterminé quelle était la partie du sang atteinte, et on a vu que c’étaient les globules rouges du sang, et dans ces globules la substance que les chimistes ont appelée hémoglobine, laquelle prend l’oxygène de l’air pour l’apporter dans les tissus.

Certes il serait à souhaiter que nous eussions de tous les poisons des notions aussi précises que nous en avons de l’oxyde de carbone. Malheureusement il est loin d’en être ainsi. Nous savons que le sang, les muscles, les nerfs, la moelle épinière, ont des propriétés qui sont détruites ou perverties par certains poisons spéciaux, mais nos connaissances ne vont que rarement au-delà de cette première localisation. Je vais tenter ici d’étudier les poisons qui agissent sur une certaine partie de l’organisme, une des plus nobles sans contredit, puisque c’est sur l’organe de l’intelligence, sur l’encéphale. Mais je ne chercherai pas à préciser le lieu même où se fait cet empoisonnement. Le siège des fonctions intellectuelles n’est pas assez bien déterminé pour qu’il soit permis de faire une autre étude que celle des symptômes. Nous allons donc voir quels sont les symptômes de l’empoisonnement de l’intelligence; peut-être cette investigation sera-t-elle profitable aux philosophes comme aux physiologistes, l’union du physique et du moral étant si intime qu’il n’y a que des inconvéniens à en séparer l’étude.

Cette sorte d’introduction était nécessaire pour faire comprendre ce que nous entendons par le mot de poison de l’intelligence. Nous ne voulons pas dire par là qu’un poison agit uniquement sur l’intelligence, sans porter son action sur les autres organes et les autres fonctions : nous entendons seulement qu’il porte primitivement son