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dans l’œuf seront absorbées pour passer ensuite dans le torrent circulatoire; mais si on donne à un malade un grain d’émétique, on lui aura donné un poison, parce que l’émétique sera nécessairement éliminé, et que l’organisme ne peut supporter la présence d’émétique dans le sang. En tout cas, l’action de l’émétique, comme médicament, n’est pas différente de son action comme poison : c’est tout simplement du poison à faible dose. On le voit, la distinction entre un poison et un médicament est artificielle, et doit être absolument bannie du langage scientifique.

L’étude des poisons est donc aussi utile au médecin qu’au physiologiste. Au médecin qui veut guérir les organes qui fonctionnent mal, elle montre comment agissent les substances qu’il peut employer, en sorte que la toxicologie, ou science des poisons, n’est pas autre chose que la thérapeutique expérimentale. Autrefois, du temps d’Orfila, les expériences sur les poisons étaient destinées seulement à éclaircir les problèmes les plus délicats de la médecine légale. Aujourd’hui elles servent à la médecine tout entière. Comme l’a dit encore M. Claude Bernard, un organe sain et un organe malade ne fonctionnent pas différemment, et l’action d’un poison sur l’organisme sain peut devenir une action médicamenteuse sur l’organisme malade.

Un grand progrès a été réalisé le jour où on a cherché à limiter le rôle des poisons à un organe ou à un tissu. Il nous semble maintenant que cette donnée est élémentaire, et que rien n’était plus simple que de chercher si telle ou telle substance agissait plus spécialement sur le sang, ou sur le muscle, ou sur le cerveau; mais cette recherche, qui semble être le premier pas de la toxicologie, ne date guère que d’une vingtaine d’années, et on peut presque dire que les belles études de M. Claude Bernard sur le curare en ont été le point de départ. C’est qu’en effet auparavant, au lieu d’analyser les fonctions des organes ou des tissus, on en considérait surtout l’ensemble. On cherchait à voir dans tous les phénomènes physiologiques le résultat d’une force spéciale agissant sur les organes, et on appelait propriétés vitales toutes les propriétés de ces organes. Aujourd’hui, qui pense encore à soutenir ces doctrines? Le principe de la vie n’est pas unique, il est disséminé dans toutes les parties vivantes, et personne ne voudrait ressusciter les théories de l’ancienne école de Montpellier, qui admettait une force vitale présidant aux fonctions organiques. Un être vivant est un composé d’organes vivans, lesquels peuvent mourir isolément. Ces organes sont composés de tissus; ces tissus sont constitués par des cellules, et toutes ces parties peuvent disparaître successivement sans que la fin des unes entraîne nécessairement la mort des autres.