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compatriotes le raisonnement qui suit : « Les contributions volontaires, dès que le but dépasse certaines limites, demeurent toujours en dessous; sans chercher plus loin, en Espagne même, ne voulait-on pas vers 1860 procurer au gouvernement par souscription publique toute une flotte de guerre? On recueillit à peine de quoi fréter une chaloupe. D’ailleurs, si quelquefois on peut réunir de la sorte une somme déterminée, il y a loin de cet effort momentané à la dure obligation de verser chaque jour pendant cinq années l’argent nécessaire à l’entretien d’une armée en campagne. »

Et cette armée, nous savons sa force, 50,000 hommes au bas mot. C’est par centaines de millions qu’il faut alors chiffrer la dépense; que là-dessus les partisans de don Carlos, légitimistes de France et catholiques d’Angleterre, aient libéralement fourni leur appoint, le fait n’est pas contestable ; mais, fort heureusement pour lui, le prétendant trouvait sur place d’autres ressources plus sérieuses et bien plus durables. « Dans le pays basque, par la nature même du terrain, il ne peut y avoir de grande culture; chaque ferme ne comprend guère qu’un hectare de bonne terre, auquel il faut joindre un autre hectare dans la montagne pour le pacage des bestiaux; grâce à un travail opiniâtre et à l’entente parfaite de ce qui convient à ses champs, le paysan basque peut payer pour l’hectare qu’il cultive une rente annuelle de 100 francs; le propriétaire reçoit donc, l’un dans l’autre, 50 francs par hectare. Or, pendant trois ans, don Carlos a été le maître absolu de la contrée; la majorité des grands propriétaires sont libéraux : les uns ont vu leurs biens vendus ou séquestrés et n’ont, partant, rien perçu de leurs rentes; les autres, qui ont fait un accord avec les autorités carlistes, ont dû, avec la rente, fournir quelque chose en surplus; pour les propriétaires résidons carlistes, ils ont conservé leurs biens, mais ils avaient à supporter des charges énormes qui leur enlevaient au moins la moitié de leur revenu. En calculant sur 800,000 hectares, bon an mal an, don Carlos n’a pas dû toucher moins de 35 millions de francs. Ajoutez-y la contribution directe, personnelle, très rigoureusement exigée; chaque famille payait jusqu’à 3 douros (15 francs) par mois; cela fait, pour dix mille familles, à peu près 20 millions; avec les contributions indirectes, car trop longtemps l’exportation de certains articles, tels que le vin, ne fut point interdite au-delà du territoire libéral, et les douanes carlistes fonctionnaient régulièrement, vous aurez encore de ce fait une dizaine de millions, soit en tout 60 millions de francs, somme bien plus considérable qu’il n’en fallait au prétendant pour munir ses soldats de panons Krupp et de fusils Berdan. Par rapport aux vivres, aux subsistances, la question se résout plus simplement encore :