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bien; l’olivier, aux environs d’Estella et de Tudela ; quant au blé, il vient partout : ce fut là toujours la grande ressource du pays. Jusqu’au XIVe siècle, faute de numéraire, les monarques navarrais payaient avec un certain nombre de mesures de blé partie de la solde de leurs officiers et des fonctionnaires publics; eux-mêmes percevaient en nature les contributions des villes et des villages. Dès cette époque, la Navarre récoltait plus de grains qu’il ne lui en fallait pour sa consommation personnelle. L’empereur Charles-Quint, de glorieuse mémoire, avait autour de lui un confesseur, un chapelain et un médecin, nés tous trois dans les provinces du Nord; c’est ainsi qu’il avait appris quelques mots de basque, l’idiome le plus difficile qui soit au monde, et il aimait à s’en servir. Or un jour, rencontrant en chemin un muletier navarrais, il lui demanda dans sa langue : — Muletier, d’où viens-tu? — Et l’homme aussitôt : — De Navarre. — Et en Navarre il y a beaucoup de blé? poursuivit l’empereur. — Oh ! oui, seigneur, beaucoup de blé, répondit l’autre. — L’ambitieux monarque, qui avait tant d’armées à nourrir dans l’un et l’autre monde et qui, comme son aïeul, était toujours sans argent, conclut sous forme d’aparté : — Oui, oui, beaucoup pour vous, mais il ne m’en revient rien à moi. — La Navarre, comme on sait, en vertu de ses fueros, ne payait point de contributions à la Castille, et cet état de choses a duré jusqu’en 1841. Grâce à l’abondance des céréales, la fabrication des farines est particulièrement florissante : en 1868, il existait dans la province 237 moulins dont 32 à deux ou plusieurs meules; à part cela, peu de commerce, peu d’industrie, de rares filatures, quelques fabriques de drap; 60 mines environ de cuivre, de plomb ou de fer sont en exploitation et comme 20 forges en activité. Bref, le vin seul, avec le blé, fournit à l’exportation un article de quelque importance.

On s’est étonné souvent que sur un territoire aussi restreint les carlistes aient pu soutenir une lutte aussi longue. Les trois provinces basques en effet réunies à la Navarre ne comptent pas même 2 millions d’hectares; elles aussi pour un tiers et plus sont occupées par des montagnes complètement improductives; en tenant compte de la partie qui était aux mains des libéraux, à peine restait-il aux carlistes pour subsister 700,000 ou 800,000 hectares de terre plus ou moins cultivée. On a cru alors de bonne foi que toutes leurs ressources provenaient du dehors, et de fait à l’étranger, dans certaines classes au moins, les sympathies ne leur ont pas manqué; les souscriptions ont été publiques, les enrôlemens ouvertement provoqués, les armes et les munitions au su de tous achetées, emballées, expédiées. Est-ce à dire que ces manœuvres ou ces envois aient influé beaucoup sur la durée de la guerre? Un Espagnol de mes amis, esprit fin et judicieux, tenait devant ses