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noires fenêtres treillagées de grilles, sombres demeures seigneuriales timbrées d’écussons gigantesques, larges portes bardées de métal, garnies de clous à tête ciselée, gros comme des œufs, balcons et balustres en vieux fer forgé, vastes toitures surplombant d’un mètre et surchargées d’ornemens; mœurs et coutumes d’un temps disparu réapparaissent là tout entières. Avec cela, peu d’animation et comme le regret du passé; Tafalla, mieux situé, absorbe tout le commerce de la contrée. N’étaient les soldats, qui sont casernes ici comme partout dans le pays basque et dont une compagnie passe en ce moment au retour de l’exercice, le remington sur l’épaule, les clairons sonnans, je chercherais en vain dans cette nécropole quelque chose qui rappelle le siècle où nous vivons. Au centre même de la ville s’ouvre une place fort large; une plaque de marbre est encastrée au mur d’une maison; je m’approche et je lis qu’en ce lieu, le 10 juillet 1811, huit citoyens d’Olite, dont les parens ou les fils servaient dans les guerillas, furent fusillés par les troupes françaises. Volontiers je salue les noms de ces malheureuses victimes de la guerre; mais sur ce point encore les Espagnols sont-ils complètement sans reproches? Si une plaque de marbre devait rappeler chacune des fusillades et des exécutions sommaires accomplies tour à tour par l’un et l’autre parti durant les deux dernières luttes civiles, tout le nord de l’Espagne en serait pavé!

Le château qui faisait la principale défense de la ville en est encore le plus bel ornement; donnant d’un côté sur la campagne, il ouvre à l’intérieur sur la place et occupe ainsi avec ses dépendances presque le quart d’Olite. Il s’était conservé intact jusqu’à notre siècle; mais vers 1840 un incendie, allumé par les cristinos, le consuma : fort heureusement les flammes ne purent que dévorer les parquets et les lambris, et respectèrent le corps même de l’édifice. Pourvu seulement que de nouvelles discordes politiques ne viennent pas compléter leur œuvre et détruire même les ruines. Ce serait grand dommage ! Ces murs de pierre lisse, hauts comme des montagnes, ces massifs énormes, appuyés sur des arcades pleines, gigantesques, ces clochetons en poivrière suspendus comme par la main au-dessus du vide, ces tourelles de toutes formes se haussant sur des tours plus larges ainsi qu’un jeune enfant sur les épaules de son frère aîné, ces créneaux pointus et qui, mathématiquement alignés, semblent encore en longue file monter la garde sur l’ombre de leurs vieux rois, ces guettes, ces barbacanes, ces brèches même, ouvertes par l’incendie, offrent à l’œil l’ensemble le plus imposant et le plus pittoresque qui se puisse voir. Mais je voudrais visiter l’intérieur : je frappe quelques coups à une poterne, une jeune personne vient m’ouvrir, la fille de l’intendant du lieu, vêtue d’une de ces robes claires qui plaisent tant sous ce