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mamelon est occupé par une maison isolée, le caserio de Muru, qui lui a donné son nom. Les carlistes, mettant à profit les avantages de la position, avaient établi sur la pente qui regarde la route des terrassemens et des fossés en manière de réduit ; en outre, les montagnes, couvrant leur gauche, étaient sillonnées de plusieurs rangs de tranchées étroites, juste assez larges pour laisser passer un homme, mais amplement garnies de défenseurs. Mendiry avait recommandé à ses Navarrais de ne pas se découvrir, de soigner leur tir, et, le moment venu, de fondre sur l’ennemi à la baïonnette. Cette tactique, bien comprise et bien exécutée, devait décider du succès de la journée. Les jeunes soldats de Concha s’étaient lancés à l’assaut avec ardeur ; la route était longue, la côte âpre à gravir ; le mauvais temps redoublait, le vent qui leur chassait la pluie dans les yeux leur dérobait la vue de l’ennemi, tandis que les balles carlistes les frappaient à coup sûr : ils avançaient pourtant peu à peu, glissant dans la boue à tous les pas, s’aidant pour monter des buissons et des aspérités du sol. Quelques-uns parviennent ainsi jusqu’aux tranchées carlistes, mais épuisés, séparés, sans ordre : une charge à la baïonnette, exécutée par les défenseurs des tranchées, les balaie facilement. En bas du plateau, malgré le feu plongeant qui les décime, ils se reforment et remontent ; une fois encore ils pénètrent dans les lignes carlistes, et de nouveau sont ramenés en arrière. Ce qui fut dépensé d’héroïsme en cette lutte fratricide, le chiffre des pertes suffirait à le dire. Jamais, même en ses jours de triomphe, l’armée libérale n’avait montré plus de courage et d’abnégation.

Au même moment, une autre attaque contre le village voisin de Murugarren était également repoussée. Concha sent la victoire lui échapper : la nuit tombait ; il envoie à la division qui flanque sa droite l’ordre de combiner ses efforts contre Monte-Muru, rassemble toutes les troupes qu’il a sous la main, les réunit aux débris de la brigade d’avant-garde, et une troisième fois les lance à l’assaut ; peut-être eût-il mieux valu accepter franchement la défaite et ne pas s’obstiner dans une lutte qui devenait de plus en plus inégale. Le combat recommence aussi terrible que jamais. Lui-même, à cheval, la lorgnette à la main, le maréchal s’est porté en avant : il est seul avec une ordonnance ; tous ses officiers d’état-major vont çà et là portant des ordres, lorsqu’une balle partie des tranchées de gauche le frappe en pleine poitrine ; il tombe sans avoir pu dire un mot. Aux cris de son ordonnance, quelques soldats, des officiers accourent et l’emportent respirant à peine dans la même maison où il avait passé la nuit.

Ce n’était pas un homme ordinaire celui que la balle d’un montagnard