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basque cite un exemple bien frappant de cette ferveur dévote des montagnards. « C’était, écrit-il, le 16 juillet 1872, jour de la Vierge du Carmen. Préoccupé des maux que pouvait amener la guerre civile et qui peut-être n’étaient pas les plus grands dont fût alors menacée l’Espagne, je me dirigeais par Elizondo vers la frontière : point d’incident jusque-là qui fût digne d’être noté, sauf la rencontre de trois ou quatre petites bandes carlistes insignifiantes, qui laissaient tranquillement passer la diligence. La soirée s’annonçait paisible, la chaleur pendant le jour n’avait pas été excessive, et nous suivions rapidement la descente qui, contournant un peu la vallée d’Urdax, conduit à Dancharinea, quand tout à coup apparut une femme qui du bas de la côte accourait en criant : « Il est ici, il est ici, et il a déjà communié ! » Aux questions des voyageurs surpris de ces paroles, dont ils ignoraient le sens, la femme répondit comme folle : « C’est Charles VII qui a communié en arrivant !… » Tel qu’il est, le cri de cette bonne femme, expression d’un fait peut-être imaginaire, symbolise fort bien à mon sens la situation présente. « Il a communié, il a communié ! » cela veut dire : « L’homme qui vient maintenant pour nous commander communie comme nous, comme nos maris et nos fils, au lieu que les autres, ceux de Madrid, non ! Bienvenu donc soit-il sur cette terre. » Et M. Canovas poursuit : « Si contraires que nous soyons à la cause carliste, pouvons-nous méconnaître qu’il n’y ait là quelque chose de grand et qui mérite le respect ? Savez-vous bien, vous qui parlez sans cesse du règne des idées et de la supériorité des principes sur les choses réelles, que ces gens-là sont aussi des hommes d’idées, eux qui sincèrement, de gaîté de cœur, sacrifient à leur conviction, à leur foi religieuse, tout intérêt matériel, toute affection terrestre, et vont jusqu’à compromettre leurs privilèges historiques. »

On ne saurait mieux dire, ni plus justement. Le malheur est que la simplicité des Basques, leur ignorance les rende si faciles à égarer, et que leur caractère ardent les entraîne si vite sur la pente du fanatisme. Le clergé a su admirablement tirer parti des élémens qu’il avait sous la main : à ces hommes naïfs, on a dit que la révolution n’épargnerait rien du passé, que l’église même était en péril, qu’il fallait marcher, et ils se sont levés comme pour une croisade. Dans son œuvre de prédication, le clergé n’a pas eu d’auxiliaire plus actif ni plus utile que les femmes : chez les nations catholiques en effet, celles-ci conservent plus vivans que l’homme les sentimens religieux. N’a-t-on pas vu tout récemment, à Madrid même, les dames de la plus haute société signer des suppliques en faveur de l’unité religieuse menacée dans les chambres par leurs maris ? En Navarre, cette religiosité des femmes est poussée à l’extrême ;