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œuvre : les bombes à pétrole, la mine, l’incendie. Par un raffinement de cruauté atroce, les cloches de la ville ne cessaient de sonner le glas et la musique militaire des assiégeans exécutait des marches funèbres. De leur côté, les assiégés avaient arboré sur le fort un large drapeau noir : ils savaient trop ce qui s’était passé naguère à Cirauqui, gros bourg des environs, où une troupe de volontaires républicains, enfermés dans l’église et forcés de capituler, avaient été au mépris des conventions odieusement massacrés. Cependant ce second siège durait depuis huit jours ; l’explosion d’une mine avait ébranlé les murs de briques du couvent ; sur 500 hommes que primitivement comptait la garnison, 40 à peine restaient sans blessures : il fallut se rendre. Mais les carlistes eux-mêmes avaient été touchés de tant d’héroïsme : les défenseurs du fort obtinrent de se retirer libres, quoique sans armes, à travers les lignes ennemies, et cette fois la capitulation ne fut point violée.

On se rend à Estella par la route qui mène de Pampelune à Logroño. Après avoir surmonté les hauteurs qui entourent la cuenca, on continue à s’élever par une série de sommets en étages ; le paysage est triste et sévère : le sol rocailleux ne produit qu’une végétation maigre et rare, touffes de thym et de bruyère, d’une teinte uniforme tirant sur le roux. Sur l’autre versant, rentrant dans la plaine, on trouve Puente-la-Reyna, entourée d’eau de trois côtés : tout son territoire est planté en vignes, et le vin qu’elles produisent est fort estimé. Naguère encore des promenades séculaires voilaient comme d’un rideau vert l’entrée de la ville : elles sont tombées sous la hache des soldats ; les troncs énormes apparaissent seuls coupés au ras du sol avec leurs racines noueuses qui ne veulent pas mourir et d’où le printemps fait jaillir en gerbe une foule de vigoureux rejetons. Puente-la-Reyna se compose de trois longues voies horizontales reliées par plusieurs ruelles : un grand édifice la termine au nord, qui fut anciennement un couvent de templiers. Quelle belle fabrique on en pourrait faire ! Les longs cloîtres, les salles profondes semblent n’attendre qu’une foule d’ouvriers joyeux dont les métiers ou les marteaux réveillent cette solitude, secouent ce silence de mort ; mais l’industrie ici n’existe pas. Telle est la malechance de l’Espagne, que les mesures de la paix ne lui sont pas moins funestes que les dévastations de la guerre ; à bien voir, l’expulsion des Moresques ou la suppression des ordres religieux ont fait autant de ruines dans la Péninsule que les armes des Abd-er-Rhaman ou les soldats de Napoléon Ier.

De petits fortins, en forme de blockaus, couronnent les hauteurs voisines : ces ouvrages, élevés par les libéraux à mesure qu’ils gagnaient du terrain, communiquent entre eux par un système de