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d’une grande ville fortifiée, et comme qui dirait dans la zone militaire ; aussi a-t-il beaucoup soufert des deux guerres carlistes. Un escadron de lanciers y est caserné pour l’instant ; les chevaux qui vont à l’abreuvoir, effrayés au passage de la diligence, hennissent, se cabrent et détachent des ruades terribles contre les plinthes et les balustres délicatement sculptés, et plus haut des soldats goguenards, montrant à l’embrasure des fenêtres leur tête rase et leur buste en chemise, accrochent prosaïquement aux rampes de fer forgé les pièces de leur équipement équestre qu’ils sont en train d’astiquer. Tout à coup le décor change : une plaine immense apparaît, cernée à l’horizon par de hautes montagnes grises et dépouillées, dont une brume légère estompe les escarpemens : c’est la cuenca de Pampelune. Je ne sais pas de site plus pittoresque, de panorama plus complet : dans le fond, sur un large plateau taillé presque à pic du côté de la plaine, la ville découpant au milieu des airs la fine silhouette de ses nombreux clochers ; en bas, l’Arga, petite rivière aux eaux troubles, une double ligne de peupliers en marque le cours sinueux ; au-delà, les champs de blé, interrompus de loin en loin par des bâtimens d’exploitation ou un bouquet de feuillage ; tout autour enfin, de petits villages piquant de leurs murs sombres la croupe verte des premiers coteaux. Les routes qui conduisaient vers la ville étaient ornées autrefois d’avenues magnifiques ; mais la guerre a passé par là, et les arbres ont été coupés : la municipalité s’occupe de les replanter.

On entre dans Pampelune par un chemin en retour et un pont-levis qui se relève tous les soirs. À l’opposé de tant d’autres villes fortes lacées trop dru dans leur corset de pierre, celle-ci respire et s’étend à l’aise au centre de ses remparts ; les rues, surtout dans les quartiers neufs, sont larges et bien percées, les maisons, généralement bâties de briques, ont un air qui plaît d’aisance et de propreté. Deux promenades, se continuant l’une l’autre, longent à l’intérieur la ligne des remparts ; la Taconera, la plus belle, est ombragée d’arbres magnifiques. Chaque soir, en été, la population entière s’y donne rendez-vous. Jeunes femmes et jeunes filles passent par petits groupes, coquettes, sémillantes, confiantes dans leur beauté, sur leur tête la mantille noire, à leurs pieds le mignon soulier découvert qui fait crier le sable des allées ; les grands yeux noirs pétillent, les éventails frissonnent et claquettent, les jupes bruissent et se balancent. Selon l’usage espagnol, les hommes ne donnent pas le bras aux dames : ils se tiennent par derrière ou sur les côtés ; on rit, on cause, on s’interpelle à haute voix avec une liberté toute méridionale.

Longtemps les rois de Navarre ne portèrent d’autre titre que