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n’y est point ménagé. Le bas tout entier est réservé au bétail ; pour arriver à l’escalier qui mène aux appartemens d’en haut, il faut traverser ou longer l’écurie. Au palier aboutit un double corridor qui conduit soit vers la cuisine, soit vers la chambre principale, complétée le plus souvent par deux alcôves : sous le toit règnent des greniers. Toutes les pièces sont carrées, fort vastes ; par malheur, le plancher défoncé, les parois lépreuses, les poutres enfumées, les meubles eux-mêmes, noirs de crasse et de vétusté, témoignent trop souvent de l’incurie la plus complète. Serait-ce le voisinage des affreuses bourgades de la Vieille-Castille et de l’Aragon qui déjà se fait sentir ? mais ces montagnards si honnêtes, si laborieux, si sincèrement attachés à la vie de famille, prennent en général fort peu de soin de leurs demeures. Du reste chaque maison, même la plus misérable, est ornée d’un ou deux écussons placés tantôt au-dessus de la porte, tantôt à l’angle du mur de façade, car tandis que chez nous les armoiries sont le privilège d’un nombre restreint de familles, tout individu d’origine basque se targue de pouvoir montrer ses quartiers de noblesse. Ces écussons affectent les formes et les dimensions les plus diverses : les uns sont d’un travail grossier, les autres au contraire fouillés avec art ; plusieurs aussi sont accompagnés de devises. Les lions, les aigles, les léopards, les griffons, les sangliers, les licornes, tous les plus fiers animaux héraldiques, les tours crénelées, les têtes de mores, les mains sanglantes, les épées, s’entre-croisent et se confondent en un pêle-mêle savant où la sagacité du vieux D’Hozier lui-même se trouverait en défaut. Ce sont là proprement des armes parlantes destinées à remémorer quelque événement glorieux pour la famille ou le pays. Pendant la lutte que soutint don Sanche le Fort, roi de Navarre, contre l’émir Mohammed-el-Nasr, et qui finit par l’éclatante victoire de las Navas de Tolosa, un bataillon de chrétiens, entièrement composé d’hommes du Baztan, jouait aux dames pour chasser l’ennui. Tout à coup retentit un cri d’alarme : les ennemis, à la faveur d’une surprise, sont parvenus jusqu’aux portes du camp, il n’y avait point de temps à perdre ; les joueurs quittent la partie, prennent leurs armes en toute hâte, tombent à bras raccourci sur les Sarrasins et ne s’arrêtent qu’après les avoir mis en déroute complète. Le roi don Sanche, enthousiasmé d’une telle conduite, donna à ces vaillans un damier pour blason : leurs descendans l’ont fièrement conservé, et maintenant encore on le retrouve à Almandoz, à Oyeregui, un peu partout dans les villages qui peuplent la vallée. Détail touchant, et qui peint bien la délicatesse native de ces montagnards, quelque membre de la famille vient-il à mourir, l’écusson est voilé d’un crêpe, et pendant une année entière la demeure elle-même