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et se confondait avec Vénus; c’est la fiancée du Titan. Depuis qu’il est lié sur un rocher par Jupiter, elle attend sa délivrance et son retour dans une vallée du Caucase, oppressée elle-même de tristesse et d’affliction. Quand le bienfaiteur de l’humanité sera libéré, elle doit reprendre toute sa beauté pour s’unir à lui d’une heureuse et parfaite union.

Au début, Prométhée apparaît comme dans Eschyle lié au-dessus du précipice dans un ravin de rocs et de glaces du Caucase. Panthéa et Ione sont assises à ses pieds; il fait nuit, et l’aube se lève lentement. Prométhée s’adresse au monarque des dieux, des démons et des esprits qui nourrit sa gloire d’hécatombes humaines. Il eût pu être heureux s’il avait voulu partager la honte de sa tyrannie, mais il a mieux aimé être suspendu sur un rempart de montagne peuplé d’ouragans, endurer trois mille ans de veille, de solitude, de désespoir. Voilà son empire à lui, et il le préfère à celui de Jupiter. Ni répit ni diversion dans ce monotone martyre; pourtant il persévère, car il sait que le jour de la chute du tyran doit arriver. Rien n’a changé autour de Prométhée, mais un grand changement s’est opéré en lui-même : la misère l’a rendu sage, il a même cessé de haïr son oppresseur. Jadis il avait lancé contre le maître des dieux une malédiction épouvantable et un défi mortel, qui avait retenti comme un tonnerre dans la vapeur des cataractes et sur les abîmes de la terre stupéfaite. Cette malédiction, il l’a oubliée, mais maintenant il la redemande aux montagnes, aux sources, aux fleuves; ils s’en souviennent, mais n’osent prononcer la redoutable formule. Qui la redira? C’est la voix mélancolique de la terre elle-même qui l’a retenue, qui en a frémi dans ses entrailles d’une mystérieuse sympathie, qui la relance maintenant au tyran à l’appel de son fils glorieux : « Ennemi, je te défie! d’un esprit calme et fixe. Tout ce que tu peux m’infliger, je te prie de le faire. Tyran des dieux et des hommes, il y a un seul être que tu ne subjugueras pas. Fais donc pleuvoir tes fléaux sur moi, la pâle maladie et la peur frénétique, que le froid et le feu consument mes entrailles. Fais le pire, tu es tout puissant, je te donne pouvoir sur toute chose excepté sur toi-même et sur ma propre volonté. » À ces paroles, qui lui reviennent du fond du gouffre maternel, Prométhée revoit les maux qu’il a accumulés sur le monde et sur lui-même, il est saisi d’un spasme de douleur. Ione et Panthéa frissonnent. Le Titan va-t-il expirer? Heureusement il est invaincu. Mais, comme si ce défi répété avait réveillé la vengeance de Jupiter, son messager Mercure accourt. Ce n’est ni avec le Tartare, ni avec le vautour qu’il menace; il amène les Furies. Si Prométhée ne veut dire au maître le secret qui doit le sauver, il sera livré à ces fantômes, qui lui infligeront des tortures