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piquer sur un sujet banal des actualités qui égaient la foule, la passionnent et la font rêver d’Aristophane; Dora en a d’assez amusantes, qui montrent quelques coins de la scène parlementaire, mais par le petit bout de la lorgnette. Nous avons connu un théâtre gigantesque, dont on avait fait une sorte de lanterne magique, grandissant tout démesurément sur la toile; voici aujourd’hui la réaction : il semble que le théâtre, épris de singularités, de difformités et d’exceptions, cherche à tout ramener, hommes et choses, aux proportions les plus menues.

Le drame, comme dans la plupart des pièces de M. Victorien Sardou, ne commence que fort tard, — lorsque M. de Maurillac, devenu le mari de Dora, se trouve amené par la confidence d’un ami imprudent à la soupçonner d’avoir vendu à une police étrangère des papiers diplomatiques volés dans son secrétaire. Il se noue, se dénoue, se renoue en deux actes haletans, bourrés, serrés, dans lesquels un savoir-faire très habile a réuni tout ce qui peut intéresser, émouvoir, et qui mènent à la scène capitale, — celle où Dora, forte de son innocence, s’arrache des bras de son mari, chez qui la passion a fini par vaincre le mépris, et repousse avec indignation la tendresse déshonorée qu’il lui offre, — véritable trouvaille que suit malheureusement un dénoûment enfantin où l’on voit la comtesse Zicka prise dans un piège, faisant l’aveu de son vol, de son métier honteux et de la jalousie qui l’a excitée à faire peser sur Dora une injuste accusation. Malgré l’effort laborieux que trahissent les longueurs de l’action, cette dernière partie a des mérites d’invention et de facture qu’on ne peut contester; elle produirait plus d’effet encore, si la répugnante infamie du soupçon et du vol lui-même n’enlevait quelque chose de l’émotion; il y a là je ne sais quoi qui pèse lourdement et met le spectateur mal à l’aise. Que voilà donc un monde étrange, et que ces choses-là sont déplaisantes! On a plus envie de s’étonner que de pleurer, et l’on ne sait trop sur qui porter sa pitié, sur la pauvre Dora, que les hontes de son entourage peuvent exposer à de telles infortunes, ou sur l’honnête homme que son amour a jeté en un pareil milieu. Mais aussi, que diable allait-il faire dans cette galère?


G. VAUTIER.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.