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a pris le nom de Favrolles, il est député. Et voici mistress Clarckson, devenue fille du pavé de Londres, parée du titre de comtesse Zicka, poursuivant la revanche des souffrances auxquelles la nvsère et l’abandon, deux maîtres plus cruels encore que les planteurs d’Amérique, ont livré sa jeunesse, — énigme vivante à qui l’amour arrache sa force et son secret, en lui conseillant une odieuse vengeance contre la rivale qui lui enlève l’homme aimé de qui elle attendait une sorte de rédemption.

Les « étrangères » de M. Victorien Sardou, la comtesse Zicka et ses acolytes, ont cette supériorité qu’on croit les reconnaître. On dit que ce sont des portraits auxquels il n’a fait qu’accrocher un vieux drame conçu depuis longtemps, l’Espionne; on dit que cette société-là existe, que le tableau étalé dans les deux premiers actes de Dora est d’une vérité frappante, et il faut bien croire que c’est exact, puisque tant de gens l’affirment. La sottise effrontée de cette vieille marquise espagnole, bloquée par ses créanciers dans un pavillon d’auberge et vendant sa correspondance à un entrepreneur d’espionnage, — les pudiques révoltes de Dora, à qui, sous les yeux de sa mère, un Lovelace marié ose offrir « une brillante position, » et qui repousse avec terreur l’amour de celui qu’elle aime, craignant d’y trouver l’outrage auquel on l’a habituée, — le désordre, la bêtise, l’impudence et l’infamie de cette bohème politique et galante, — tout cela est vivement peint, avec une moquerie violente et une verve quelque peu gauloise, riche de mots hardis. On s’en amuse, et l’on est près de s’en attrister en même temps; le rire y laisse des écœuremens. « Que cela fait donc plaisir de se retrouver entre honnêtes gens ! » s’écrie le député Favrolles au moment où le rideau tombe sur le dernier acte; c’est le mot de la fin, et peut-être la critique de la pièce. Tout le plaisir est pour les spectateurs, qui se retrouvent entre eux et voient disparaître derrière la toile cette vision de coquins et d’aventurières. Quelle est donc l’incompréhensible fascination qui entraîne les auteurs vers les milieux interlopes, et à laquelle M. Victorien Sardou cède à son tour? Le demi-monde a-t-il donc de si merveilleux appâts qu’il faille ainsi en exhiber toutes les faces, et que, laissant le terrain de la galanterie, où il a du moins l’excuse du plaisir, on l’aille chercher dans les coulisses de la politique, où il est odieux? On dirait, à voir l’empressement avec lequel la lumière est portée dans tous les bas-fonds, que la vie honnête n’a plus de drames.

Où il n’y a qu’une fantaisie conseillée par la mode, par le besoin des effets violens et des études curieuses, que de gens s’imaginent trouver un reflet de la réalité! Nous savons ce que les comédies de ces dernières années ont donné à croire des mœurs parisiennes, et il est fort à craindre qu’on ne veuille découvrir dans cette Dora, conduite assez imprudemment jusqu’aux portes du palais de Versailles, une photographie politique. M. Sardou possède mieux que personne l’art de