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ce rapport, pour avoir dépassé le but, pour s’être trop complu peut-être dans des programmes ambitieux, pour n’avoir pas prévu des résistances qui, à leur tour, dépassent le but dans l’intérêt de la Turquie elle-même, laissée pour le moment à tous les périls d’un isolement suspect.

Et maintenant que va-t-il sortir de cette situation nouvelle, qui crée bien évidemment des embarras à tout le monde ? Il ne faut rien exagérer. L’intervention directe et collective de la diplomatie dans les affaires d’Orient a cessé, sous la forme de la conférence, par le départ des plénipotentiaires momentanément réunis à Constantinople ; ce n’est ni un abandon des intérêts occidentaux, ni même une rupture avec la Sublime-Porte. Pour l’Europe, il ne peut y avoir qu’un rôle, et c’est encore sir Stafford Northcote qui l’a dit : a La Turquie a fait ce qu’elle a cru devoir faire dans son intérêt. Nous regrettons excessivement ce qu’elle a fait, nous sommes d’avis que rien ne lui a été proposé qu’elle ne pût honorablement accepter et sans se faire tort à elle-même. Elle a pensé différemment… Ce n’est pas une offense. » L’Europe ne peut plus qu’attendre, « suivre les événemens avec sollicitude, » en gardant des droits qui restent consacrés par des traités, qui ne dépendent pas du bon plaisir de la Porte, en maintenant un accord qui est le seul avantage de la dernière conférence. Il n’est point douteux que, si cet accord eût existé dès l’origine, au commencement de ces complications orientales, la question aurait été engagée autrement, d’une manière moins décousue, dans des conditions plus simples, où l’autorité de la diplomatie européenne aurait gardé toute sa force. Bien des méprises auraient pu être évitées, et on ne serait pas allé au-devant de cette espèce d’échec qu’un concert tardif n’a pu détourner.

Cette intelligence, qui n’existait pas à l’origine, qui semblait impossible ou difTicile, s’est réalisée, elle existe aujourd’hui. Les puissances se sont entendues sur un programme qui, même après la séparation de la conférence, reste un lieu entre elles. Assurément le premier de tous les intérêts pour la garantie de la paix, c’est de fortifier ce lien, de maintenir en face des événemens possibles de l’Orient cette autorité collective reconstituée qui seule, par son poids, par son caractère moral, peut limiter les crises et dominer l’imprévu. S’il y a un danger, il est dans les tentatives qui pourraient être faites pour disjoindre ce faisceau formé par la prudence, par un prévoyant esprit de transaction ; il est dcius tout ce qui pourrait êire essayé pour rouvrir la carrière aux politiques séparées et aux complications qui en découleraient fatalement, qui ne commenceraient en Orient que pour gagner bientôt l’Occident, pour entraîner le continent tout entier à travers les aventures de la force et du hasard. Quelle est donc la puissance qui voudrait jouer ce jeu aussi redoutable qu’équivoque, et chercher dans une situation sans doute difficile le prétexte de divisions, d’excitations ou d’entre-