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diplomates turcs se sont acquis une réputation méritée de finesse. Dans ces derniers temps, ils ont été audacieux parce qu’ils étaient perspicaces. Ils ont vu clair dans le jeu des délégués, et ce qui les a déterminés à la résistance, c’est qu’ils n’étaient pas dupes de la prétendue unanimité sous laquelle on voulait les écraser. Ils savaient que parmi les plénipotentiaires plusieurs souhaitaient peut-être en secret l’échec de la conférence, jugeant, les uns qu’on demandait trop, les autres qu’on ne demandait pas assez. L’Autriche, les hommes d’état de Constantinople n’en doutent point, désire le maintien du statu quo autant qu’eux-mêmes. Sa politique consiste à examiner de bonne grâce tout ce qu’on lui propose et à trouver partout des difficultés; c’est une politique de résistance cordiale et empressée. La France, on le sait aussi à Stamboul, est résolue à ne prendre aucun parti, aucun engagement dans la question d’Orient; elle ne peut avoir à cœur que le maintien de la paix. Son gouvernement fût-il tenté de renoncer à sa politique prudente et réservée, elle l’obligerait de se conformer à la déclaration faite par le duc Decazes. C’est à peine si elle l’autorise à avoir un sentiment sur les points qui peuvent diviser l’Europe; en fait d’opinions, elle s’en tient au nécessaire; elle estime que dans la situation que lui ont imposée les événemens les opinions superflues sont des opinions dangereuses. M. Thiers exprimait vraiment les vœux et la pensée de son pays quand il disait dernièrement : — « Nous avons besoin de paix; nous la désirons, afin de pouvoir nous accoutumer au calme et à la réflexion. L’époque présente ne se prête ni à de grandes fautes, ni à de grandes actions. Les grandes fautes, si on en commettait, ne sauraient être commises que volontairement; quant aux grandes actions, il serait imprudent d’y songer. »

Midhat-Pacha connaît également les véritables dispositions du cabinet anglais. Lorsque la Grande-Bretagne gourmande la Turquie, lui témoigne de l’humeur, il sait ce qu’il en faut penser et qu’elle ressemble à cette mère qui tance son enfant et le menace de le donner au loup, s’il n’est pas sage :

…………… L’animal se tient prêt.
Remerciant les dieux d’une telle aventure.
Quand la mère, apaisant sa chère géniture.
Lui dit : Ne criez point; s’il vient, nous le tuerons.

Midhat-Pacha est instruit des difficultés intérieures avec lesquelles lord Derby doit compter; il n’ignore pas que lord Salisbury était chargé de préparer à Constantinople des argumens oratoires pour le ministère, qu’il pensait beaucoup à la chambre des communes, qu’on l’avait prié de ne rien dire, de ne rien faire qui pût fournir une hyperbole de plus à M. Gladstone et une recrue nouvelle au parti whig, et qu’au surplus embrasser son ennemi est quelquefois une manière de lui lier les bras. Midhat-Pacha n’ignore pas non plus que l’Allemagne elle-même a ses