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avec cette romance sentimentale, modulée par la pie : « Mon repos est loin, mon cœur est lourd, » tandis qu’un corbeau énorme, accroupi, la tête dans les épaules, dans un angle obscur, fredonne d’une voix mystérieuse et sépulcrale, bien qu’enrouée : « Le soir, au coup de minuit, le tambour quitte sa tombe. » Au milieu de ce chaos, le lieutenant Holopherne, debout à son établi, une tourterelle sur l’épaule, un serpent noué en cravate autour du cou, est couché en joue par un écureuil courroucé.

Autant notre intrépide ami fut autrefois, comme soldat, prodigue de sa vie, autant il veille avec tendresse sur celle de ses animaux : non-seulement, si l’un des siens vient à mourir, il l’enterre honorablement dans son jardinet et sème des fleurs sur sa tombe, mais, s’il voit quelque chien errant traîné à l’abattoir, il verse des larmes amères.

Bien qu’il ne soit ni séduisant ni dans cet âge où, comme on le sait, le diable avait aussi sa beauté, Holopherne ne perd cependant jamais l’occasion de témoigner de son faible pour les femmes. Et, soit, que sa galanterie les émeuve, soit que leurs yeux scrutateurs démêlent plus facilement que les nôtres un brave cœur de soldat courageux et probe sous cette veste à fleurs et cette chemise grossière, Holopherne est plus que bien des jeunes gens en faveur auprès d’elles. Il porte environ soixante ans, et même davantage ; mais à l’aide d’une pommade qu’il fabrique lui-même et d’un cosmétique hongrois pour la moustache, on parvient à conserver « l’effet moral » auquel, s’il faut l’en croire, nulle femme ne peut résister.

Je l’ai déjà dit tout à l’heure, notre ami n’est pas beau. Il n’a pas moins de six pieds. Jusqu’en 1849, il a été grenadier. Comme tous les gens de grande taille, il marche le dos légèrement voûté, avec un léger tremblement des genoux. Ses jambes, ses bras grêles et effilés, son long cou mince, ses oreilles diaphanes et écartées de la tête, et l’espèce de grelottement nerveux qui l’agite continuellement, lui donnent l’aspect d’un de ces lévriers qui, été comme hiver, semblent pris d’un frisson perpétuel. Son nez crochu, en lame de couteau, a l’air d’avoir été découpé dans une feuille de papier. J’ai toujours peur qu’il ne l’arrache chaque fois que, pour se moucher, il le plonge imprudemment dans son immense foulard jaune. Mais aussi quels yeux il a ! de grands et beaux yeux bleus naïfs comme ceux d’un enfant, avec des regards modestes qu’envierait la fille d’un pope. Ces yeux-là durent jadis séduire bien des pécheresses.

Le brave lieutenant, quoique retraité, a porté trop longtemps le mousquet pour ne pas avoir au suprême degré le respect de son grade. Il est si plein de cette formule : « monsieur le lieutenant, »