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la garance, laquelle ne peut plus lutter contre l’alizarine artificielle. Le canal d’irrigation du Rhône, qui ne nuirait en rien à la navigation du fleuve, est évalué à une dépense de 110 millions; il pourrait être achevé en quatre ans. Il aurait une longueur de 400 kilomètres, de Condrieu à Béziers, et traverserait cinq départemens, la Drôme, Vaucluse, le Gard, l’Hérault, l’Aude. Il offrirait une surface irrigable susceptible de produire annuellement 450,000 tonnes de foin et de nourrir au moins 100,000 têtes nouvelles de gros bétail. Il permettrait, sur une étendue en plaine d’au moins 80,000 hectares, la submersion des vignes, moyen reconnu efficace pour combattre le phylloxéra. Cette œuvre grandiose est appuyée par les vœux de tous les conseils électifs, et par des souscriptions personnelles importantes pour la jouissance de l’irrigation.

Revenons à la navigation du fleuve. Il est indispensable que cet autre canal latéral dont nous avons aussi présenté le devis soit ouvert, dût-il coûter 300 millions, comme le prétendent quelques-uns. Quelle meilleure dotation pourrait-on faire aux travaux publics dans l’intérêt de tous, et quelle occasion plus favorable pour reconstruire à la mesure des besoins présens ce qu’on a si souvent appelé l’outillage industriel de la France? Si le Rhône n’est qu’incomplètement amélioré, s’il faut rompre charge à Lyon, que l’on vienne du nord ou du sud, l’entreprise sera toujours à recommencer, et nos petits-neveux se débattront dans les mêmes difficultés que nous. L’auteur du canal de Suez, quand le gouvernement hellénique le consultait en 1869 pour le percement de l’isthme de Corinthe et parlait d’un canal à écluses, répondit qu’il fallait percer un canal à niveau, comme il l’avait fait à Suez. Depuis, sa réponse a été la même à toutes les compagnies, à tous les gouvernemens américains qui ont également fait appel à sa haute expérience pour le creusement d’un canal interocéanique : « On ne saurait naviguer en pareil cas avec des écluses, c’est trop long et c’est trop coûteux, » n’a cessé de dire à tous, et prêchant d’exemple, M. F. de Lesseps. A notre tour, nous ferons remarquer qu’on ne saurait naviguer en France avec des systèmes différens de canaux. C’est trop long et c’est trop coûteux, faut-il encore répéter, et ce mode barbare n’a duré que trop longtemps. Passe ici pour les écluses, elles y sont de mise, et l’on ne saurait se passer d’elles; mais qu’au moins elles soient uniformes et que le même navire puisse aller du Havre à Marseille à travers la France. Si l’on veut d’un système réellement économique et en rapport avec les nécessités actuelles, si l’on veut relever enfin et véritablement notre navigation intérieure, il faut percer ce que nous nommerons l’isthme français, en donnant à la Basse-Seine, comme l’a demandé M. Krantz, un tirant d’eau de