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total; c’est autant que le port du Havre. Cela ne saurait nous surprendre, car il s’agit ici d’une ville de 2 millions d’âmes, qui est une des premières places industrielles du monde. C’est le cas de rappeler que le ravitaillement de Paris, en 1871, après le siège des Allemands, s’est surtout opéré par la voie de la Seine, et qu’à cette occasion on a pu faire passer en un seul jour 40,000 tonnes de marchandises à l’écluse de Bougival. Quelle gare de voie ferrée aurait pu réaliser ce prodige? On sait combien longtemps, à l’époque qui suivit les jours néfastes de l’invasion, nos gares restèrent encombrées, et quelles plaintes fit entendre à ce sujet tout le commerce de la France. Ces faits sont significatifs, et montrent que les voies navigables intérieures répondent encore de nos jours à des besoins réels, quelquefois même à des nécessités stratégiques, et n’ont pas épuisé, comme quelques-uns ont pu le croire un instant devant l’extension de plus en plus grande et absorbante des chemins de fer, toute leur période féconde d’activité.

Les diverses voies navigables du bassin de la Seine représentent comme longueur parcourue le cinquième, comme dépense de premier établissement le tiers, comme trafic enfin les deux tiers de la longueur, du coût et du tonnage de l’ensemble du réseau français. Ce seul rapprochement, mieux que toutes les descriptions, suffit à marquer l’importance qu’a pour notre pays la Seine avec tous ses aboutissans, et le rôle supérieur qu’elle joue dans notre navigation intérieure. Aussi est-ce dans cette région privilégiée que presque tous les perfectionnemens, toutes les recherches, toutes les applications nouvelles, ont été tentés, mis à l’essai. C’est sur l’Yonne, c’est sur la Seine, que les barrages mobiles, dus à nos ingénieurs des ponts et chaussées, à la tête desquels il faut placer le regrettable M. Poirée, ont été pour la première fois appliqués. C’est sur la Seine aussi que le touage à chaîne noyée a été expérimenté avec une parfaite réussite. Il convient de s’arrêter un moment sur ce système de remorquage à la fois nouveau et curieux, et qui donne aujourd’hui des résultats si importans et presque inespérés.

En terme de marine, se touer c’est se haler sur un câble fixé à l’une de ses extrémités par une attache, une ancre. Le touage dit à chaîne noyée a lieu quand un bateau se haie sur une chaîne à maillons plats ou un câble métallique, immergés au fond d’une rivière et placés dans le chenal de celle-ci. La chaîne ou le câble, guidés par des poulies, s’enroulent sur un treuil à l’avant du remorqueur, se déroulent sur un treuil à l’arrière, et ce mouvement, joint à la résistance qui a lieu à l’avant, détermine la progression du bateau. Les treuils sont mis en jeu par une machine à vapeur installée à bord. L’idée première du touage serait due au maréchal de Saxe,