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les canaux à écluses superposées, inventées, dit-on, par un Italien qui maniait aussi bien le compas que le pinceau, Léonard de Vinci. Par elles, on apprend à passer aisément d’une vallée dans une autre, quelle que soit la différence de niveau du point de départ et du point d’arrivée, et dès lors nous trouvons ces voies de communications nouvelles justement préconisées. Henri IV et Sully, Louis XIII et Richelieu, Louis XIV et Colbert y appliquent successivement une partie de leur génie et tout leur bon vouloir. En 1638, on commence le canal de Briare, qui unit la Loire à la Seine en passant à Montargis; en 1662, Riquet présente à Colbert le projet de canal du Languedoc ou des deux mers, qui bientôt reliera la Méditerranée à la Garonne, Cette et Agde à Toulouse, et fera l’étonnement de Vauban. L’impulsion une fois donnée se continue. Les états provinciaux, les princes du sang, de grands personnages, se mettent à la tête de ces sortes d’entreprises. Au XVIIIe siècle, on ouvre le canal de Bourgogne, qui unit le Rhône à la Seine, et le canal de Saint-Quentin, qui marie la Seine à l’Escaut. En somme, pendant trois siècles, de François Ier à Louis XVI, les progrès que fait la navigation intérieure de la France ne s’arrêtent pas un instant. Sous le premier empire, la restauration, le règne de Louis-Philippe, et même pendant les premières années du règne de Napoléon III, on continue à améliorer avec sollicitude le régime des rivières et à creuser des canaux. L’habile ingénieur Brisson et le directeur général des ponts et chaussées, M. Becquey, avaient même présenté successivement, de 1815 à 1830, des projets d’ensemble remarquables et auxquels on n’avait point songé avant eux, car les entreprises avaient été jusqu’alors purement régionales.

Les projets de Brisson et de M. Becquey n’ont reçu malheureusement qu’un commencement d’exécution, et les canaux, bien négligés par l’état depuis quelques années, ont vu diminuer de plus en plus leur trafic, par suite de la concurrence effrénée des chemins de fer. Ceux-ci, sur quelques points, pour mieux réduire à néant la batellerie, ont acheté les canaux; autant eût valu les combler. Notre réseau de voies navigables, déjà incohérent dans l’ensemble, est resté incomplet, inachevé. Les deux conditions principales de tout transport par eau sur une grande étendue, l’uniformité de mouillage et d’écluse, ne s’y trouvent nulle part réalisées. Il est tel bateau que son tirant d’eau ou sa longueur empêchent d’entrer dans tel canal. Il faut alléger ou transborder ce qui rend le fret plus cher, interrompt la continuité de la navigation, soumet la marchandise à un déchet. Se figure-t-on un wagon obligé de passer d’une ligne à une autre dont l’écartement des rails serait différent? Eh bien ! quelque chose d’analogue a lieu sur nos canaux. Chacune