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nuits splendides, de la physionomie particulière de la population polychrome et polyglotte qui se presse dans ses rues, du Nil, des pyramides, du musée de Boulaq, qui lui seul demanderait des mois d’études, sous la direction du plus savant des maîtres, Mariette-Bey[1]? Comment rendre le charme exquis de la vie européenne sous le ciel de l’Orient, la facilité avec laquelle on se sent vivre, et par-dessus tout les magnificences incomparables de la lumière particulière au ciel d’Egypte, qui revêt d’un tissu diapré les contours qu’elle caresse, met en vigueur tout ce qu’elle éclaire, et transforme la nature en un immense décor? Mieux vaut admirer ces merveilles en silence que d’en parler à la hâte.

Il faudrait passer six mois au Caire et sur le Nil pour en rapporter une idée complète; on ne se décide à le quitter qu’en se promettant d’y revenir. Mais à cette courte distance l’impatience du sol natal m’a gagné, je ne fais que traverser Alexandrie, une sorte de Marseille transplantée et sans intérêt, et prends passage sur le Mœris des messageries maritimes, où pour la première fois, depuis quatre ans de navigation, je trouve à bord une majorité de Français. Avec quel plaisir on salue de loin ces côtes dont les noms vous ramènent en pleine Europe, la Crète, le mont Ida, berceau de Jupiter, le golfe de Tarente, Reggio, Messine, Naples ! Il faut avoir vécu longtemps au milieu des races dont la morale, l’esthétique, la philosophie nous sont étrangères et antipathiques, pour comprendre toute la satisfaction que l’on éprouve à se replonger au sein des races aryennes. Il semble qu’après avoir vu grimacer l’humanité on la voit enfin sourire. Après avoir foulé le sol de l’Inde, passer devant l’Egypte, la Grande-Grèce, l’Italie, n’est-ce pas suivre les diverses étapes de cette armée d’élite qui semble tenir de Dieu la mission de remplir les vides laissés par lui dans le « plan des choses? » Saluons cette terre féconde où se sont élaborées les plus belles œuvres de l’esprit humain; saluons aussi l’Océan, — qui rend fidèlement à la terre le dépôt qu’elle lui avait confié, — et avant de nous élancer vers le foyer qui nous attend, adressons une pensée de reconnaissance à tous ceux qui durant cette longue absence ont ouvert leur porte à l’étranger.


GEORGE BOUSQUET.

  1. Ces lignes étaient déjà écrites quand a paru dans la Revue l’étude si attachante de M. Eugène Melchior de Vogué sur l’ancien empire. Il n’était donné qu’à sa plume élégante et nerveuse de rendre les émotions qui s’emparent de l’âme en présence de ces vestiges éloquens du passé égyptien, perdus dans l’immensité du désert et sortant des nécropoles, à soixante siècles de distance, pour nous initier à la plus ancienne civilisation du globe.