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manier les armes, et la résistance peut dans ces conditions s’éterniser. En ce moment, les hostilités sont ralenties, mais la Hollande va les reprendre bientôt avec des renforts fournis par l’embauchage de mercenaires européens; à cette heure, un blocus rigoureux empêche aucun navire et aucun étranger d’approcher de la côte atchinoise pour alimenter les rebelles. On finira par les affamer et les détruire en détail; mais d’ici là, que d’argent enfoui dans cette malheureuse expédition, qu’il eût mieux valu cent fois ne pas entreprendre! Que de fois les navires réquisitionnés de toutes parts pour les transports seront venus débarquer des soldats bien portans et auront remporté des malades et des mourans! L’armée des Indes n’avait pas été habituée à de si rudes épreuves, elle les a supportées avec un courage et une énergie admirables, avec cette ténacité qui a déjà arrêté plus d’un adversaire, et cette fois encore, il faut l’espérer, elle trouvera sa récompense dans le triomphe d’une cause qui est non pas seulement celle d’un pays et d’un peuple à la hauteur de leurs ambitions, mais encore celle de la civilisation contre la barbarie.


X.

Du 7 au 13 mai. — A Singapore on quitte la petite ligne auxiliaire de Batavia pour reprendre la grande ligne des messageries entre Sanghaï et Marseille; il faut donc dire adieu à l’Emirne et à son charmant capitaine et prendre place sur le Sindh, qui nous a devancés au wharf de New-Harbour. Le Sindh est un paquebot de 122 mètres de long, où sont réunis tous les genres de luxe et de confort que permet le séjour sur l’océan; il file couramment douze nœuds et se tient admirablement à la mer; c’est ce qu’un marin appelle avec une inflexion de voix toute spéciale a une belle barque. » Elle file, cette barque, chargée de monde, entre les passes étroites qui forment l’accès de Singapore, à travers les îlots verdoyans entassés à l’entrée du détroit de Malacca. Nous ne toucherons plus la côte d’Asie qu’à Ceylan dans une autre colonie anglaise; nous quittons définitivement l’extrême-Orient, ou plutôt ce que je serais tenté d’appeler le dominium chinois, la vaste étendue de côtes sur lesquelles on trouve établis dans la plupart des métiers lucratifs les fils du Céleste-Empire. Coulies, marchands, banquiers, industriels, ouvriers, ils sont propres à tout, acharnés au gain, au travail, à l’épargne, et cette épargne, ils la rapportent chez eux au bout de quelques années, de sorte que la Chine agit sur l’extrême-Orient comme un poulpe armé de millions de suçoirs. Mais ce n’est pas seulement la côte d’Asie qui est ainsi envahie; je les ai vus dans