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et du cavalier, plus « un logement propre et commode dans le voisinage de ses ateliers, une voiture à son usage journalier, une table saine et frugale où il puisse recevoir une ou deux personnes. » Au sculpteur et à ses ouvriers, on accordait 12,000 livres de frais de voyage et, dans le cas où les plans de Falconet ne seraient pas approuvés, une somme égale pour le rapatriement. Tel est le résumé des dix-neuf articles du traité. Les bagages du sculpteur se composaient de vingt-cinq grandes caisses, dont la note détaillée a été reproduite dans le volume de la Société impériale, vingt-quatre renfermaient des livres, des tableaux, des statues ébauchées, des moulures, que Falconet destinait à l’académie russe; une seule contenait ses effets personnels. L’artiste s’oubliait toujours pour ne songer qu’à son art. Outre ses ouvrière, il emmenait avec lui une de ses élèves, d’un talent distingué, Mlle Collot, qui devint plus tard la femme de son fils.

Galitsine avait recommandé Falconet à Panine, Diderot écrivit dans le même sens à Betski; il lui rappelait que Falconet quittait une situation importante à Paris, qu’il abandonnait ses places à l’Académie et à la manufacture de Sèvres, qu’il renonçait à ses commandes, si bien que son traité avec la cour de Russie n’ajoutait presque rien à ses revenus. Il insistait sur le beau caractère de Falconet, qui n’avait pas voulu accepter les 300,000 livres qu’on lui offrait, donnant pour raison que « celui qui ne saurait pas être heureux avec 2,000 livres de rentes ne l’était pas avec 100,000, et que quant aux autres 100,000 livres dont il se départait, on les lui rembourserait en bons procédés. » — « Comblez donc mon Falconet, continuait Diderot, rendez-le donc heureux, faites qu’il jouisse du repos; faites qu’il ne trouve aucun dégoût, aucun obstacle, qui le retardent dans ses opérations et l’empêchent d’exécuter pour vous une grande et belle chose... Il est tout simple que sa majesté et vous, monsieur, qui êtes son ministre, interposiez votre autorité et disiez les mots graves qui font taire. » Nous verrons que c’est précisément de Betski que sont venus à Falconet tous les obstacles et tous les dégoûts. Sans doute Betski nourrissait à son égard les plus bienveillantes dispositions. Il regardait comme un triomphe personnel le succès de la négociation; mais quelle apparence que deux personnages aussi dissemblables pussent réussir à s’entendre! Il y avait des chances pour que Falconet, avec sa franchise intraitable, ses façons brusques, son orgueil de grand artiste, ses témérités de plume et de langage, froissât l’homme de cour et en fût froissé. Il arrivait avec son idée à lui sur Pierre le Grand, et Betski avait la sienne. Celui-ci avait fait rédiger par un certain Bilistein une série de rapports sur le meilleur emplacement à choisir pour le monument de Pierre le Grand; Bilistein, dont les conclusions en