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les Vénitiens s’unissent à Catherine contre les Turcs. L’éditeur de ces documens, M. Pierre Barténief, a également publié un ukase de l’impératrice, en date de 1779, et par lequel elle assure une pension de 5,000 livres à Vanier, secrétaire de feu M. de Voltaire.


III.

Sur la place du Sénat, à Saint-Pétersbourg, les regards du promeneur sont forcément attirés par une statue équestre posée sur un immense bloc de granit. Le coursier colossal, lancé au galop, s’est arrêté soudain et, contenu par une main puissante, se cabre au bord du précipice. Il y a un contraste voulu, d’une part entre la fougue de l’énorme bête, la tension violente et le gonflement de ses muscles, le frémissement et la révolte de sa chair de bronze, et d’autre part la sérénité du héros, qui, sûr de sa force et indifférant au danger, étend la main droite pour menacer et protéger. Ce qu’il menace, c’est la Suède, aujourd’hui reléguée au loin, mais alors maîtresse du sol même où s’élève le monument ; ce qu’il protège, ce qu’il enveloppe de son regard triomphant, c’est cette grande cité qui à sa voix a surgi des marais de l’Ingrie, c’est sa forteresse de Saint-Pierre-Saint-Paul qu’il a bâtie sous le feu des vaisseaux suédois, c’est la Neva que hérissent aujourd’hui les mâts des navires et qu’il a le premier ouverte au commerce européen ; c’est son sénat, son synode, son amirauté, ses arsenaux, son académie des sciences, ce sont les églises où sont entassés les trophées de ses victoires. Pierre le Grand est au centre même de Pétersbourg; le créateur préside au développement de sa création. D’autres après lui ont achevé ce qu’il avait commencé; mais il semble que ses successeurs se sont inspirés de ses idées favorites ; lui-même aurait voulu élever cette flèche de l’amirauté construite sous Anna Ivanovna et cette flèche de la forteresse commencée sous Elisabeth : démesurément sveltes et élancées, semblables à des mâts de vaisseau, elles auraient flatté ses goûts nautiques, et les colonnes rostrales dressées devant la Bourse auraient eu son approbation. Le costume du Pierre le Grand de Falconet est d’une remarquable simplicité : une simple tunique qui touche jusqu’aux genoux, un court manteau qui flotte sur les épaules; point d’étriers ; pour selle une peau de panthère. Le héros de tant de batailles n’a ni casque ni armure de fer; une couronne de lauriers rappelle seule ses victoires. Ce qu’on a voulu exprimer, c’est surtout la force de pensée et de volonté; le réformateur a fait oublier le guerrier, mais il n’a pas fait oublier le héros. Pierre Ier est bien le bogatyr qui a si grand air dans les chansons épiques de la Russie, il est bien le « tsar géant » de Pouchkine et son cheval est de sang