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Par réaction contre l’esprit autoritaire qu’il voyait régner autour de lui, il avait accepté avec enthousiasme les idées révolutionnaires venues de France, qui ébranlaient alors le sol de l’Europe comme un sourd tremblement de terre. Il était à cet âge naïf où l’on croit pouvoir réformer le monde d’un trait déplume, et les institutions religieuses lui semblaient l’incarnation de toutes les tyrannies ; il voyait dans leur abolition l’affranchissement de l’humanité. Un de ses condisciples, Thomas Jefferson Hogg, partageait ces idées. Sceptique, froid et railleur, il n’avait rien de l’enthousiasme de Shelley; ils ne se rencontraient que dans la négation, mais cela suffit pour en faire des amis et des collaborateurs. Hogg devint le Méphisto de ce jeune Faust et le confident de ses publications subversives. Shelley fit imprimer à Oxford un petit syllabus anonyme qu’il intitula : la Nécessité de l’athéisme. Il le fit circuler avec des lettres sans signature où il disait avoir reçu le pamphlet et ne pouvoir le réfuter. Le scandale fut grand. Shelley, soupçonné et cité devant les autorités universitaires comme l’auteur supposé de l’opuscule, fut sommé de le reconnaître ou de le renier. Il refusa l’un et l’autre et fut expulsé de l’université comme il l’avait été du collège, Hogg, son confident, eut le même sort.

C’est à cette époque que Shelley fit la connaissance de Harriet Westbrock, fille d’un hôtelier retiré des affaires. Shelley venait dans la maison du père et inspira à la jeune fille des idées fort au-dessus de son entourage. Quelque temps après, le jeune homme se trouvant en visite chez un cousin dans le pays de Galles, Harriet noua avec lui une correspondance, où elle se plaignait des persécutions dont elle était l’objet dans sa famille et lui demandait ouvertement sa protection. Revenu à Londres, Shelley, ému de la condition pénible et de l’affection croissante de la jeune fille, s’enfuit avec elle à Edimbourg, où il l’épousa, en 1814. Les rapports intimes de Shelley avec sa première femme sont mal éclaircis. Il n’est pas prouvé qu’il l’ait aimée à proprement parler. L’attachement était vif du côté de Harriet, que l’on peint comme une jeune fille franche, jolie et aimable, mais bien des circonstances contribuèrent à affaiblir leur lien : la différence d’éducation d’abord, puis la famille de Harriet, qui parut spéculer sur la fortune d’un futur baronnet. Cependant Shelley ne songeait pas à une séparation, lorsqu’en 1814 il rencontra Mary Wollstoncraft Godwin, fille d’un écrivain connu et alors âgée de seize ans. Il en tomba éperdûment amoureux, renonça à tout accommodement avec Harriet et offrit ses hommages à Mary Godwin, qui les accueillit favorablement.

Après avoir pris les mesures nécessaires pour assurer l’existence de Harriet, il partit avec Mary pour un voyage sur le continent. Les