escarpée et inaccessible. Privés de l’hommage des vivans, ils jouissent d’un privilège autrement enviable, puisqu’ils habitent une région supérieure aux vicissitudes du siècle. Par l’âme de leur pensée ils sont de tous les temps, car ils se rattachent à tout ce qu’il y a de plus noble dans le passé, comme ils annoncent ce qu’il y a de plus beau dans l’avenir.
Percy Bysshe Shelley naquit le 4 août 1792 à Field-Place (Sussex), résidence de son père, M. Thimothy Shelley. Cette famille distinguée, qui remonte assez haut dans les annales de la noblesse britannique, est représentée encore aujourd’hui par un pair (lord de l’Isle and Dudley) et par deux baronnets dont l’un, sir Percy Florence, est le fils du poète. Elle appartenait alors aux meilleurs rangs de cette gentry qui est le véritable réservoir de l’aristocratie anglaise. L’aîné d’habitude demeure gentilhomme campagnard, les cadets se font marins ou soldats, genre de vie qui conserve la vigueur du sang, l’empêche de s’abâtardir par l’habitude du négoce et du lucre. Dans cette caste, on peut devenir paresseux, original ou maniaque, mais bourgeois difficilement. Le grand-père de Shelley était un de ces excentriques inabordables et passa les dernières années de sa vie dans une retraite absolue à Horsham. Le père, par contre, était un vrai gentilhomme campagnard assez aimable, mais violent, whig en politique et particulièrement attaché à la famille Norfolk. Percy, l’aîné de quatre filles et d’un frère, tenait plus de son aïeul que de son père, avec lequel il ne s’entendit jamais. Il passa son enfance à la maison et à l’école voisine du village de Warnham, puis à Sion-House-School, à Brentford. C’est là qu’il ressentit pour la première fois le dur contact de la réalité. Le maître était un rude Écossais, les enfans de grossiers campagnards. Le jeune Percy, d’une sensibilité frémissante, souffrit cruellement de la férule du maître et de la brutalité de ses camarades. Dans la dédicace d’un de ses poèmes, il rappelle le jour et l’heure où son esprit précoce s’éveilla au choc de ces impressions douloureuses. « A l’aube d’une fraîche journée de mai, je me promenais sur l’herbe étincelante de rosée, pleurant sans savoir pourquoi, quand j’entendis s’élever les voix stridentes de la salle d’école. Elles me semblèrent l’écho d’un monde de douleurs. Joignant les mains, je regardai autour de moi; mais il n’y avait personne à mes côtés pour se moquer de mes yeux ruisselans qui laissaient tomber leurs gouttes chaudes sur le sol ensoleillé. Et, sans honte, je dis : — Je veux être juste, libre et bon, si ce pouvoir est en moi, car je suis las de voir l’égoïste et le fort