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à marcher en partant du pied gauche, à savoir ce que l’on entend par un changement de direction. Qu’on ne vienne pas dire que cela coûterait des sommes énormes, car il ne faut pas débourser grand’chose pour mettre des enfans sur deux rangs et leur faire reconnaître leur droite de leur gauche. Dans les collèges, des sous-officiers sont envoyés pour montrer aux jeunes gens d’un certain âge le maniement des armes, c’est déjà un progrès; mais il faudrait étendre cette sage mesure à toutes les écoles, à tous les villages de France. Si les maîtres d’école ne peuvent se charger de ce soin, on trouverait facilement dans toutes les communes des hommes sortant de l’armée et pouvant montrer l’exercice. C’est une mesure qui dans peu d’années rendrait d’énormes services, en ne laissant arriver dans les régimens que des recrues sachant déjà ce que c’est qu’un fusil. M. le général de Wimpffen a bien raison, dans son livre la Nation armée, d’insister sur ce point et de demander que l’on mette en pratique une idée aussi simple.

Par ce moyen d’une semblable éducation commencée dès l’enfance, ne ferait-on pas revivre en France l’esprit militaire? Pour nous, nous n’hésitons pas à l’affirmer; mais aussi ce qui doit contribuer à relever l’esprit militaire en France, c’est la pratique des nouvelles lois qui obligent tout le monde à servir le pays : tout Français étant soldat, l’armée ne forme plus une caste. Chacun doit passer un temps plus ou moins long au régiment et puiser dans cette vie en commun le respect dû à l’autorité et l’esprit de discipline, et cette discipline doit être d’autant plus dure qu’il faudra l’imposer à des hommes qui demeureront peu sous les drapeaux ; alors peut-être de retour dans leurs foyers leur en restera-t-il quelque chose. M. de Wimpffen voudrait voir aussi augmenter le bien-être des sous-officiers pour leur faire aimer leur métier et rester au service; pour cela, il propose de leur donner des chambres dans la caserne, d’augmenter le nombre des volumes dans les bibliothèques régimentaires, enfin tout un ensemble de réformes qu’il serait trop long d’énumérer ici. Le livre du général de Wimpffen contient un grand nombre de propositions sages qui n’ont qu’un tort, c’est de venir quand la loi militaire est votée et presque pratiquée ; venu plus tôt, ce livre aurait eu certainement de l’influence sur nos législateurs. Il est vrai de dire qu’il reste à voter la loi sur l’état-major et quelques autres encore, que les discussions sur le budget ont fait ajourner. Espérons que le calme se rétablira complètement dans nos chambres et qu’elles voudront bien enfin discuter et voter ces lois si nécessaires; aussi nos législateurs feront-ils bien de lire la Nation armée et de prendre au général quelques-unes de ses idées.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.