Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/484

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
478
REVUE DES DEUX MONDES.

instant déplacés? Avec un sous-préfet de quelques mois, on fait un chef de département. Soit dit sans aucune intention malveillante, il y a tel de ces préfets récemment promus qui est entré dans l’administration en 1871, a été éloigné en 1873 et replacé depuis quelques mois, en est à sa cinquième préfecture dans une carrière d’activité de moins de trois ans. Le résultat le plus clair est que les populations assistent avec un scepticisme mal dissimulé à ces mobilités incessantes et qu’elles s’accoutument à ne compter que médiocrement avec ce personnel novice qu’elles voient passer et repasser sans laisser de traces. M. le président du conseil est un homme trop sérieux, d’un esprit trop éclairé, pour ne pas voir le danger et pour ne pas sentir la nécessité de maintenir les conditions essentielles de gouvernement, de défendre l’administration française contre les envahissemens de l’intérêt de parti.

Ce n’est pas le moment en vérité de s’amuser à de frivoles compétitions intérieures, à de vulgaires ou puérils incidens, lorsque la situation de l’Europe garde plus que jamais peut-être toute sa gravité. Le télégraphe a beau multiplier ses dépêches contradictoires et confuses, la conférence de Constantinople a beau se réunir et délibérer sans cesse, les chancelleries ont beau échanger des communications, cette terrible et éternelle question d’Orient ne sort pas de son obscurité. Tout ce qu’on peut distinguer vraiment, c’est qu’un jour on est à la paix, un autre jour on est à la guerre; tantôt la conférence de Constantinople est près de renoncer à sa tâche laborieuse, tantôt elle reprend ses délibérations. Là-dessus les imaginations brodent, les interprétations courent le monde, et on n’est pas plus avancé, on est réduit à attendre le dernier mot de l’imbroglio qui se complique.

Au fond, la diplomatie avait deux difficultés, et un instant elle a paru avoir raison d’une de ces difficultés. La Russie, après avoir débuté par des exigences dont le discours de l’empereur Alexandre à Moscou était la retentissante expression, la Russie n’a point tardé visiblement à montrer des dispositions plus conciliantes. Elle a été moins absolue sur le caractère des réformes qu’il s’agissait d’imposer à la Turquie, elle a aussi moins insisté sur les garanties qu’on devait réclamer, sur l’occupation militaire de la Bulgarie. Le général Ignatief lui-même, représenté d’abord comme le plus belliqueux des ambassadeurs, n’a plus été bientôt que le plus modéré des négociateurs. La diplomatie n’a rien négligé pour profiter de ces dispositions favorables en désintéressant autant que possible le cabinet de Saint-Pétersbourg, et on a fini par arriver à un programme accepté par la Russie comme par les autres puissances.

Le malheur est que la diplomatie n’a peut-être tourné ses regards que d’un côté, et qu’en cherchant à satisfaire la Russie elle n’a pas songé assez à la Turquie. Elle ne s’est point aperçue de ce qu’il y avait déjà d’étrange à s’en aller dans la capitale d’un souverain pour délibérer sur la mise en tutelle de ce même souverain, sur la séquestration