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sorties d’une même souche? Les langues de l’Europe moderne sont-elles filles d’une mère commune? Quelles sont les civilisations qui ont précédé les civilisations grecque et romaine, et quels vestiges ont-elles laissés de leur passage sur cette terre? Tels sont les grands et mystérieux problèmes que s’est posés la science contemporaine. C’est en Orient surtout qu’elle en cherche la solution, en remontant à une antiquité que les esprits les plus hardis du XVIIIe siècle osaient à peine soupçonner. La France a largement payé sa dette à ces belles études que Colbert a en quelque sorte provoquées en fondant l’École des langues orientales, et que, de notre temps même, Champollion, Eugène Burnouf, Rémusat, Sylvestre de Sacy, de Rougé, Stanislas Julien, ont élevées si haut. Ceux-là ne sont plus, mais leurs traditions sont restées vivantes. Nous avons Renan, Bréal, Mariette, et avec ces maîtres bien d’autres orientalistes éminens : MM. Maspero, Pavet de Courteilles, Adolphe Régnier, Barbier de Meynard, Garcin de Tassy, de Vogué, etc. Nous avons la Société asiatique, qui centralise les recherches et les découvertes, et se montre la digne émule de la société de Londres. Les six derniers Rapports annuels[1] de cette savante compagnie nous font connaître, de 1870 à 1875, les travaux de nos orientalistes, et nous avons certes le droit d’en être fiers, car ces travaux, dans un aussi court espace de temps, ont embrassé toutes les langues de l’Asie et de l’Afrique, depuis le cambodgien jusqu’à l’agaou, dialecte primitif des naturels du plateau de l’Abyssinie, toutes les religions, toutes les histoires, l’ethnographie, la numismatique, l’archéologie, la géographie ancienne et moderne.

M. Renan a fait paraître, en 1874, les dernières livraisons de la Mission de Phénicie. Les fouilles d’Oum-el-Awamid, au sud de Tyr, le déblaiement de la nécropole de Sidon, la découverte du fameux temple de Biblos, ont donné de nombreux fragmens de sculpture, des inscriptions, des sarcophages anthropoïdes, aujourd’hui déposés au Louvre. Les ruines d’Amrith, l’ancienne Marathus, ont fourni à l’auteur le sujet d’une belle étude sur les monumens de cette ville et leur restauration. Ses recherches, d’autant plus précieuses que les antiquités qu’il explorait sont les moins bien conservées de toutes, l’ont conduit à déterminer rigoureusement le caractère de l’art phénicien, caractère mixte, qui emprunte tour à tour à l’Egypte, à la Syrie, à la Grèce, mais qui offre avant tout, dans son type général, une sorte d’amoindrissement de l’art égyptien. Les travaux de M. Renan complètent la prise de possession, par la science française, du coin de terre où ont fleuri des civilisations qui

  1. Ces rapports sont dus à M. Renan, secrétaire de la société.