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sans résultat définitif, se sont rencontrés dans une même proposition : celle de restreindre le blindage, de le distribuer autrement à bord, de le réserver surtout pour les parties vitales. Ils projettent de supprimer le fort central, d’établir la batterie qui l’occupe aujourd’hui en barbette, c’est-à-dire « en plein air, en pleine lumière et commandant tout l’horizon; » de placer les canons sur une seule ligne, dans le plan longitudinal du navire, de manière à les réunir au besoin sur le côté où tout l’effort de l’artillerie devra porter pendant un combat. Dans le fort central actuel, les canons sont rangés sur chaque bord, de sorte que la moitié des pièces est réduite au silence quand il s’agit de combattre d’un seul côté. Si chaque bordée pouvait au contraire être servie par la totalité des canons, la puissance des navires serait doublée avec le même nombre de pièces. Qu’on se représente deux bâtimens marchant l’un contre l’autre : ils se croisent, et, dans une rencontre courte et rapide, ils échangent le salut de leurs projectiles, puis aussitôt, après avoir passé l’un contre l’autre, ils se retournent pour revenir à la charge. Cette manœuvre ne serait-elle pas mieux servie par une artillerie puissante, agissant de tout le poids de l’ensemble des canons placés à bord, que par l’emploi de la batterie placée à poste fixe d’un seul côté? Servans et chefs de pièces combattraient au grand jour et avec leurs coudées franches, l’horizon clair, le vent libre qui dissipe la fumée, les poumons délivrés de l’oppression du réduit central actuel, où se concentrent les vapeurs de la poudre enflammée. Ne se trouveraient-ils pas placés dans les meilleures conditions que puissent souhaiter des hommes courageux et résolus à voir le péril en face? Mais, dit-on, les marins privés ainsi de toute protection ne seront-ils pas victimes de leur audace? On répond à cette objection qu’un obus de gros calibre éclatant, dans un espace resserré comme le fort central, y causerait probablement d’affreux ravages, entraînerait la mort du plus grand nombre des marins qui y seraient renfermés, pourrait en même temps atteindre toutes les pièces et les mettre hors de combat. Or il est impossible de revêtir ce fort d’une armure si épaisse qu’elle reste impénétrable aux gros projectiles d’artillerie lancés par ces monstrueux « enfans de Woolwich, » dont la force et le poids sont énormes. Ils seraient peut-être moins meurtriers dans un espace libre, où l’on pourrait sans doute en éviter moins difficilement les éclats. Dans tous les cas, cette manière de combattre au grand soleil est plus conforme au caractère des hommes aguerris. On lit dans les rapports militaires relatifs aux opérations des armées alliées devant Sébastopol, que souvent les troupes désignées pour marcher de nuit à l’assaut des redoutes russes demandaient à les assaillir en plein jour, aimant mieux se trouver en vue de l’ennemi et s’exposer à des coups