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Stosch, qui a passé de l’infanterie à la tête de la marine prussienne, fera de bons vaisseaux et de bonnes institutions maritimes, mais ne serait jamais qu’un médiocre marin, malgré les plus studieuses préparations. Or les jeunes officiers de cette marine ne sont guère encore que des marins de terre appliqués et instruits. Si intelligens qu’on les suppose, ils ont l’inconvénient, une fois à bord, d’être comme enlevés à leur élément naturel et de ne pouvoir arriver en face de l’ennemi qu’avec le cœur troublé, non par manque de fermeté, — nous leur supposons tout le courage possible, — mais parce qu’ils se sentent ballottés sur une surface mobile où les marins seuls dorment en plein repos. Un vieux matelot, dans un roman américain, dit qu’il a le « mal de terre. » Ce mot plaisant peint un sentiment vrai; mais on ne peut l’éprouver qu’après avoir contracté de longues habitudes, et ceux-là qui l’éprouvent sont les vrais marins. A bord, ils se sentent chez eux, at home, comme disent les Anglais, c’est ce qui fait la valeur exceptionnelle du matelot de la Grande-Bretagne. Nos voisins en sont bien persuadés, eux qui sont des maîtres en fait de navigation, aussi se préoccupent-ils beaucoup, dans la construction de leurs flottes, d’assurer autant que possible le bien-être des équipages à bord. Dans leurs essais successifs, ils n’ont jamais négligé cette précaution. Par exemple, ils ont fait tous leurs efforts et ils n’ont dédaigné aucune invention sérieuse pour augmenter, sur les bâtimens blindés, la circulation de l’air, car la ventilation y avait été d’abord mal aménagée. Loin de regarder ces soins comme un luxe, ils y attachent une importance capitale; ils les multiplient, ils accroissent par tous les moyens ce qu’ils appellent le comfort, en tant qu’on peut le concilier avec la sécurité et la puissance des bâtimens. Dans ces conditions, toute flotte maniée par des marins sera toujours supérieure. C’est pourquoi il est permis d’espérer que la Hollande et la Scandinavie ne sont pas encore au moment de voir leurs escadres confisquées au profit des Prussiens et leur territoire englobé dans « les limites naturelles, » selon le vœu des géographes patentés des académies allemandes.


II.

Une population de marins nombreux et endurcis est sans doute de première nécessité pour la constitution d’une flotte de guerre. Quand on les possède, on possède le principal, car ce sont les bons équipages qui font les bonnes flottes. Mais les hommes ne suffisent pas; il faut leur donner encore des armes solides, appropriées à la lâche qu’ils sont appelés à remplir, c’est-à-dire un matériel capable de lutter avec celui des adversaires. Ici deux difficultés se présentent :