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gisait, blessé, sur un lit d’hôpital ? Où étiez-vous pendant qu’il agonisait ? Qui de nous a le droit d’être auprès de lui, celle qui l’a sauvé, ou celle qui l’abandonna ?

— Celle qu’il aime ! Vous l’avez reconquis, dites-vous ? Pourtant vous ne voulez pas que je le voie, et vous me le cachez, parce que vous avez peur !

— Certes, oui, j’ai peur ! Croyez-vous que je ne connaisse pas votre pouvoir ? Pendant qu’il se mourait, il n’a pas eu un seul souvenir pour moi ; sa voix vous appelait, ses yeux vous cherchaient ! quand je l’ai emporté dans mes bras, à travers la nuit, à travers la neige, c’est toujours vous qu’il invoquait, qu’il bénissait ! C’est vous qu’il a embrassée sur mon front, quand les forces lui sont revenues ! Une autre serait partie ; moi, je suis restée ! Aujourd’hui vous voulez vous mettre encore entre le bonheur et moi ? Cela ne sera pas ! Je l’ai sauvé, je le garde. Vous l’aimez encore ? Soit, mais moi aussi, je l’aime !

Roberte était superbe de colère et de passion. Sa voix vibrante, son œil plein d’éclairs, témoignaient de son indomptable volonté. Mais Norine n’était pas femme à reculer. Elle aussi était partagée entre la colère et la passion.

— Ah ! vous espérez l’emporter sur moi ? dit-elle. Je suis chez vous : c’est vrai. Vous m’en chassez : c’est votre droit. Mais supposez-vous que je ne le reverrai jamais ? Vous l’avez avoué vous-même, c’est moi qu’il appelait dans son délire. Je n’aurai qu’à faire un signe, et il viendra, et vous ne le garderez pas plus maintenant qu’autrefois !

— Non, car je saurai me faire aimer de lui !

— Il vous a quittée, vous, sa femme !

— Parce que vous me l’avez volé, vous, sa maîtresse !

— Sa maîtresse ? oui, parez-vous de ce titre d’épouse ! La maîtresse connaît souvent des transports de passion que la compagne légitime ignorera toujours. Vous n’effacerez pas de sa vie l’année de bonheur qu’il tient de moi : et il n’hésitera pas, allez, s’il lui faut choisir entre nous !

Roberte courba le front ; Norine disait vrai. Son amour, à elle, n’avait pas de souvenirs !

— En effet, dit-elle, pendant que des larmes coulaient de ses yeux, je n’ai pas à lui rappeler des heures de passion comme vous. J’étais une enfant quand il m’a épousée, je ne savais rien de la vie ; aujourd’hui, je veux recommencer une existence nouvelle. Vous l’avez abandonné, vous. Cela a dû lui montrer le peu de fond de ces passions malsaines, qui ne résistent pas au danger. Ce que j’ai fait pour lui ne me vaudrait que sa reconnaissance, dont je ne