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tante de Loïc avec une sorte d’émotion contenue. La dernière épreuve restait à tenter : il fallait obtenir de la marquise qu’elle se reconnût comme la cause de son propre malheur.

Le premier dimanche d’avril fut, cette année-là, d’une exceptionnelle beauté. La nature entière renaissait avec le printemps. Pourquoi ce jeune cœur ne subirait-il pas l’influence du renouveau ? Pour la première fois depuis cinq mois qu’elles habitaient la villa, on avait laissé ouvertes les fenêtres de la terrasse ; il venait du large une brise fraîche imprégnée de senteurs marines. Le soleil inondait le salon, des pousses vertes montraient leur tige frêle dans le jardin ; lorsque le printemps est sur la terre, il est bien près de fleurir dans les âmes. On voyait courir sur la plage, entre les rochers, les pêcheuses de varech et de coquillages, jambes nues, chantonnant, pleines de gaîté et de force, une vie intense circulait partout ; c’était enfin une de ces journées où l’on est heureux de vivre, et qui font voir l’avenir sous les riantes couleurs de l’espoir.

Roberte, accoudée à la fenêtre, suivait des yeux les barques sous voiles glissant sur les vagues comme des goélands. Quand Henriette entra, elle se retourna et lui sauta au cou :

— Comme tu es gaie ! dit Mme Prémontré, en voyant le visage presque rayonnant de sa nièce.

— J’ai bien mes vingt ans, ce matin, répondit Roberte en souriant, je suis toute joyeuse.

— J’ai quelque chose à te montrer, continua Henriette négligemment : c’est une lettre que j’ai reçue et qui te concerne ; tiens, lis.

Elle lui tendit la lettre que Vivian Duvernay lui avait envoyée. Roberte jeta d’abord un regard distrait sur le papier, mais quand elle reconnut l’écriture de son mari, elle s’appuya sur le dossier de son fauteuil pour ne pas tomber. Henriette ne la perdait pas des yeux, et une immense pitié la prenait.

— Lis, mon enfant, répéta-t-elle doucement.

Roberte déplia la lettre avec lenteur et commença. À mesure qu’elle lisait, sa pâleur augmentait : quand elle eut fini, elle laissa glisser le papier à terre, et avec une indicible tristesse : — Si j’avais voulu, murmura-t-elle, il aurait pu m’aimer. Mon tort a été de ne pas me montrer à lui telle que j’étais.

— Alors… tu lui pardonnes ?

— Je l’excuse, ce n’est pas la même chose. J’ai été coupable : soit, mais il ne m’en a pas moins trahie. Si M. de Bramafam venait ici, j’oublierais sa faute avec joie : je ne peux pas aller à lui. Des leçons que vous m’avez données, il en est une qui doit me rester, au moins : le respect de moi-même.

À partir de ce jour, ce fut fini. Roberte était vaincue. Mme Prémontré