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voiture avec sa tante, afin d’aller s’enfermer avec elle dans la solitude qui pouvait seule lui donner le calme et l’oubli.


IV.

À trois kilomètres de Pornic, la baie de Bourgneuf fait une échancrure assez large dans le roc. Là s’élèvent des cabanes de pêcheurs et des habitations particulières appartenant la plupart à des négocians de Nantes qui viennent y passer la saison d’été ; ce hameau s’appelle la Birochère. À l’époque de son veuvage, Mme Prémontré avait acheté une de ces villas, et peu à peu cette propriété était devenue sa résidence favorite. Elle y demeurait de longs mois, comme si elle eût trouvé dans l’infini de l’Océan un point de comparaison avec l’infini de sa douleur.

Accrochée à la falaise, la villa des Bruyères domine la mer, qui se brise au bas. Pour y arriver, il faut gravir un petit sentier creusé dans le roc ; derrière, le jardin anglais rejoint la route par une avenue de bruyères et de romarins. Quand Henriette s’était résolue à s’enfermer là quelques mois d’hiver, elle avait ajouté à sa demeure tout le confort nécessaire. Le salon au rez-de-chaussée s’ouvrait sur une terrasse par une sorte de galerie vitrée donnant sur une serre chaude. C’était là le séjour habituel de Mme Prémontré ; que de fois elle était restée de longues heures dans ce salon avec Roberte devenue jeune fille ! La marquise se retrouvait donc dans un milieu aimé et connu. Elle reprit son existence d’autrefois aux côtés de sa tante, triste, et silencieuse ; Roberte se laissait vivre, ne prononçant pas le nom de son mari, comme si elle l’eût réellement oublié.

Mme Prémontré assistait avec désespoir au spectacle de cette douleur muette : peu à peu la pensée qui avait effleuré son esprit à Lamargelle y revint obstinément. Si elle s’était trompée ? si en forçant Roberte à étouffer son amour elle avait empêché celui de Loïc de naître ? On ne renonce pas aisément à des idées longuement caressées ; mais Henriette s’efforçait en vain de lutter contre elle-même, la vérité se faisait jour : elle n’était pas de celles qui refusent de reconnaître leur erreur, et elle ne pouvait pas cependant, elle ne voulait pas s’avouer qu’elle était la première cause du malheur de sa nièce.

Le marquis écrivit trois fois à sa femme, trois fois Roberte renvoya les lettres sans les lire. Elle apprit indirectement par Vivian Duvernay que le marquis, après avoir annoncé que Roberte désirait passer l’hiver en Italie, était parti pour Naples. L’abîme se creusait