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d’une activité et d’un esprit d’initiative dont on ne trouve l’exemple qu’en France et en Angleterre : en France, pendant cette période d’expansion féconde qui avait vu successivement l’éclosion du premier vaisseau-vapeur à grande vitesse, le Napoléon, et celle de la première frégate cuirassée, la Gloire, — période trop courte et bientôt fermée, lorsque l’Angleterre, se sentant dépassée par son ancienne rivale, s’était mise résolument à l’œuvre pour édifier sa flotte cuirassée. Cette flotte est aujourd’hui sans égale dans le monde; une publication récente nous a dit ici même[1] ce qu’ont fait de la nôtre ces réductions imposées depuis la guerre au budget de la marine.

Non contente de suivre de près l’Angleterre, la Russie la dépassait par la construction du Pierre-le-Grand, monitor à tourelles, cuirassé à 40 centimètres, plus fort que la Dévastation et le Thunderer anglais. Elle inaugurait un type nouveau en construisant le navire cuirassé dont nous avons parlé plus haut, appelé Popofka, du nom de celui qui en avait fourni, sinon l’idée, du moins les plans, l’amiral Popof. Cette activité, cet esprit d’initiative, ce n’est pas seulement dans les constructions navales qu’ils se manifestaient, on les retrouvait partout, sur l’escadre de la Baltique aussi bien qu’à terre, parmi une pléiade d’officiers instruits et travailleurs. C’est alors que se fondait l’académie de marine et que s’inauguraient les conférences où toutes les questions à l’ordre du jour étaient traitées, alors aussi que l’amiral Boutakof publiait ses belles études sur la tactique navale. Avec quel intérêt nous suivions ces exercices d’escadre, sorte d’escrime de l’éperon, que le même amiral avait mis en vigueur et qu’il dirigeait avec tant de savoir et d’entrain ! Les ordres du jour dans lesquels il savait si bien décrire ces exercices, avec une verve si communicative, resteront comme un modèle digne d’être suivi dans toutes les marines.

Nous n’entendons pas mettre en regard l’une de l’autre les forces navales russe et allemande dans la Baltique. Contentons-nous de dire qu’en 1883 la Russie aura dépensé près de 400 millions à construire sa flotte, et que celle-ci se composera alors de 12 cuirassés de première classe, 12 de deuxième, et de 28 navires de croisière. Par l’espèce des navires qui la composent, par leurs aptitudes, cette flotte répond aux vues du gouvernement russe, au plan qu’il s’est tracé. Créée pour la garde des côtes et destinée à agir sur les mers d’Europe, dans les bassins resserrés des mers intérieures, elle est appropriée à ce rôle comme à ce théâtre de son action. Quel intérêt pourrait l’appeler sur le Pacifique ou sur l’Océan indien? Son seul rôle, la guerre survenant, son seul intérêt dans

  1. La Marine et son budget, dans la Revue du 1er novembre.