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sentiment de vie, à cette force tranquille qui se dégage des gênes de la forme. On est d’ailleurs moins choqué par la monotonie des figures égyptiennes, pour peu qu’on réfléchisse aux lois de la plastique orientale. Un art primitif cherche à rendre les attitudes ordinaires de la vie plutôt que les mouvemens spéciaux qu’étudie seul un art très raffiné. Or ces attitudes sont restreintes à un très petit nombre chez l’homme d’Orient, immobile, grave et lent, sobre de gestes, impassible de visage : il ne connaît pas cette individualité de la stature, du port, de la physionomie, si recherchée chez nous ; vous verrez tous les passans dans une rue marcher, s’asseoir de même, il y a là à mon sens une explication et une excuse partielles des poses hiératiques.

Dans les bas-reliefs qui décorent en si grand nombre les tombeaux, le ciseau de l’artiste a des audaces ignorées des figures en ronde bosse, il n’hésite devant aucun mouvement, aucun raccourci du corps humain. Le plus souvent il est impuissant à les traduire; les bras et les jambes se rattachent au tronc suivant les lois d’une anatomie particulière, la règle de l’école commande de poser des têtes de profil sur des corps de face; n’importe, ces figures vous laissent la même impression que certaines esquisses d’écoliers nés dessinateurs; les détails sont choquans, mais l’ensemble du mouvement est saisi, c’est mieux senti et observé que telle œuvre correcte d’où la vie est absente. Dans la représentation des animaux, qui semble échapper aux entraves du canon hiératique, l’esprit d’observation exacte des sculpteurs égyptiens reprend tous ses droits : ce sont avant tout des animaliers, comme on dirait aujourd’hui ; aucun moderne ne les surpasse en vérité et en naturel à cet égard. Ils ont reproduit dans les tableaux funéraires toute la faune de leur temps, avec une précision qui charmerait un naturaliste chinois. Les visiteurs du musée de Boulaq se rappelleront, comme le spécimen à la fois le plus ancien et le plus parfait de cet art, un panneau trouvé à Meydoun, près des statues de Râ-Hotep et de Nefert; c’est une simple peinture à la détrempe sur enduit, qui représente des oies marchant et picorant : le trait est rapide et sûr, sans hésitations ni recherches, le coloris exact, les proportions irréprochables; il est impossible de serrer de plus près la nature avec des moyens plus sobres. Je n’ai jamais été maître de mon étonnement en me retrouvant devant ce fragile débris, merveilleusement conservé jusqu’à nous, et qui attesterait seul au besoin que l’apogée de l’art égyptien coïncide avec son origine, ou du moins ce que nous appelons ainsi, faute de pouvoir reculer plus loin nos investigations. Car c’est là le fait capital qui se dégage de cette étude : dès les premiers jours de l’ancien empire, l’art national nous apparaît