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science contemporaine, on trouve assez de documens pour reconstituer la civilisation de cette société, ses mœurs, sa vie intime, son gouvernement, sa religion, sa philosophie, sa littérature, ses arts surtout, qui trahissent mieux et plus sincèrement que tout autre indice la valeur et le degré d’avancement de la race. Je voudrais avant tout rendre, comme je l’ai ressenti là-bas, le jeu de cette révélation nouvelle tombant brusquement dans nos idées acquises, faisant voler autour d’elle les dates et les systèmes reçus, bouleversant les plans de l’histoire, révolutionnant notre pauvre esprit, substituant aux perspectives familières des horizons autrement ordonnés, intervertissant sur bien des points la généalogie acceptée jusqu’ici de nos idées et de nos connaissances.

« Au commencement,… L’esprit de Dieu planait sur les eaux…, » sur les eaux du Nil, pourrait-on dire en appropriant un autre sens au texte biblique. À l’origine de tout, dans les ténèbres confuses de ce qui, étant donné l’état de nos connaissances historiques, est pour nous les premiers jours de l’humanité, nous trouvons ici l’esprit, c’est-à-dire une civilisation complète, savante, puissante, venue on ne sait d’où, née on ne sait de qui, mère de toutes les autres. Deux mille ans avant que la pensée juive eût agité les questions d’origine, ce peuple-ci vivait, pensait, écrivait en plein développement. À l’heure où Abraham se montre au sommet de l’histoire, où les empires de Chaldée et d’Assyrie apparaissent confusément, où nous avions coutume de voir dans la vie patriarcale le premier essai de société humaine, cette race d’Égypte est déjà vieille, en décadence sous plus d’un rapport ; il y a plus de vingt siècles que ses cités prospèrent à l’ombre de ses pyramides. — Tel est le fait qui commande toute notre attention. Je ne sais quelles surprises et quelles clartés ce siècle de transformations scientifiques réserve à notre génération ; mais tous ceux qui ont vu comme moi, dans le hasard d’un voyage, s’ouvrir subitement devant eux ces horizons indéfinis de l’ancienne Égypte seront prêts, je pense, à affirmer ceci : il est difficile d’espérer une plus forte commotion intellectuelle, une plus soudaine illumination de l’âme, avant le jour où nous serons appelés dans la lumière d’au-delà.


I.

Elle est bien humble, la petite maison des « Antiques » de Boulaq, croulante et menacée par l’effort du Nil, bien retirée du bruit et du luxe de ce Caire merveilleux, ville des Mille et une Nuits. Un peuple de pierre, arraché après des milliers d’années à ses souterraines demeures, s’y abrite du jour et du tumulte, souriant aux