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au contraire gracieux et potelés. De temps à autre se présente un gué, il faut alors dételer la voiture, et tandis que le cocher mène ses chevaux en main, une corvée de douze ou quinze individus s’empare de no.re véhicule et le pousse sur le sable en s’accompagnant d’une petite chanson cadencée, qui se termine, naturellement, comme toutes les surprises de voyage, par la demande d’une bona mane.

Nous arrivons ainsi à une première pagode, frappée par la foudre et tombant en ruine, qui n’en offre pas moins un grand caractère. Ses bas-reliefs dégradés ne laissent rien distinguer, mais sous la coupole centrale se trouve une statue colossale de Bouddha en pierre, assez bien conservée pour donner une haute idée de la statuaire des temps passés. Ce monument ferait à lui seul le bonheur d’un archéologue et d’un artiste, mais c’est à peine si l’on s’y arrête, attiré que l’on est par l’imposant amoncellement de granit qu’on voit s’étager dans le lointain, comme une montagne rivale du Merapi dont nous côtoyons les pentes. Enfin une longue avenue de sycomores nous conduit au pied d’une des plus puissantes masses architecturales de l’antiquité hindoue.

Au sommet d’un mamelon régulier et sans doute artificiel s’élève une pyramide quadrangulaire de 100 mètres de côté à la base, dont les sept terrasses, à ciel ouvert, étagées parallèlement, vont en se rétrécissant de la base au sommet jusqu’à un dôme central qui domine tout le monument. La hauteur totale est du tiers de la largeur. Sur les quatre faces, des escaliers voûtés donnent accès aux plates-formes supérieures, et comme ils sont placés dans un même plan vertical pour une même façade, on peut gagner le couronnement de l’édifice en gravissant une longue série de gradins, semblable à un tunnel incliné, qui, vu d’en bas, semble mener à l’escalade du ciel et produit un effet saisissant. Des lions et des chimères gardent les quatre avenues qui viennent aboutir aux quatre angles de la pyramide; une prodigieuse quantité de bas-reliefs couvre toutes les parois intérieures et extérieures des terrasses; 4,000 niches et clochetons, aux coupoles à jour, laissent voir à travers leurs mailles de granit autant de statues de Bouddha, auquel le monument est consacré, et dont la légende forme le sujet de toutes les sculptures. A chaque étage, à mesure qu’on s’élève, l’attitude du dieu indique un état de sainteté plus avancé, jusqu’à la coupole centrale, qui renferme sous ses voûtes une représentation colossale du Bouddha parvenu à la perfection absolue, c’est-à-dire à la résorption dans le nirwana. Malgré ses mille ans d’existence, malgré les ardeurs du climat, l’abandon où il est laissé, le brigandage exercé par les prétendus amateurs qui dépècent les statues, malgré même les tremblemens de terre qui ont à plusieurs reprises