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en a pratiqué d’autres pour dérouter l’esprit malin, dans le cas où il lui prendrait fantaisie de venir tourmenter les âmes des défunts. En sortant, nous trouvons dans un pavillon à jour, sur la cour d’entrée, une collation de fruits, de thé, de gâteaux, qui nous attend, et nous dégustons quelques bananes et quelques cocos en présence d’une foule curieuse rangée dans la cour. On nous mène de là au centre de quatre multiplians d’une prodigieuse vieillesse et d’une dimension colossale, qui ombragent une table de pierre en forme de tombe. Une inscription latine, à moitié effacée par le temps, nous apprend que c’est la sépulture d’un Européen tombé sous le kriss d’un assassin. Enfin nous remontons en voiture au milieu des applaudissemens et des hurrahs de tout un petit peuple d’enfans nus, et nous repartons toujours accompagnés de nos trois cavaliers.

Au retour, nous visitons le Kraton de Djokdjokerta, identique à celui de Solo comme aspect extérieur; tout se ressemble, jusqu’à la taille des arbres soigneusement émondés. Cette tendance à reproduire invariablement un type unique est un des traits caractéristiques de l’art chez les races de couleur et rend à la longue monotone le séjour parmi elles. Aussi le touriste qui passe rapidement, le globe-trotter, comme disent nos voisins, rapporte-t-il une impression plus vive que le résident, pour qui un peu d’ennui se mêle aux plus brillans tableaux. Le Kraton nous présente ainsi une nouveauté, c’est une construction en ruines désignée sous le nom de Château d’eau, à cause des pièces d’eau croupissante qu’on y trouve encore. On a peine à reconstituer le monument, qui s’étale sur une vaste superficie de forme irrégulière et s’étage suivant la forme même du terrain. On reconnaît cependant un palais d’été dans le style hindou, construit au milieu des eaux bondissantes alors, mais retenues aujourd’hui dans leurs canaux obstrués par le cours des siècles et couverts d’une végétation glauque sous laquelle s’ébattent les tortues. Dans les blocs massifs, dans les formes lourdes, on retrouve l’architecture des hypogées indiens, plus convenable à un temple qu’à l’habitation de plaisance d’un dynaste aujourd’hui ignoré. On nous conduit à travers des bassins, des galeries, des chambres souterraines, que jadis on pouvait inonder d’une eau fraîche et limpide, et que souille aujourd’hui une boue fétide : une sorte de caveau renferme deux lits de repos en pierre légèrement inclinés; la porte en a été déjà murée, puis une autre ouverture pratiquée à côté de la première pour détourner le mauvais esprit. De toutes parts les plantes percent à travers les joints, soulèvent le granit, enlacent les soubassemens; la nature toujours vivace recouvre de son linceul vert les œuvres éphémères de l’homme.

C’est encore au milieu des antiquités javanaises que nous nous