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longues années à troubler la terre, je croirais volontiers que le docte abbé dont il s’agit est le plus madré et le plus méthodique. Prévenu que l’Europe a une trop haute idée de la puissance russe, et que cette opinion peut devenir trop imposante et trop préjudiciable aux projets éternels de la politique française, il s’est proposé de l’exténuer et de démontrer que l’empire russe n’est rien moins qu’aussi formidable qu’on le pense faute d’examen. » Cette note est comme l’annonce de l’Antidote, qui, s’il n’est pas entièrement l’œuvre de Catherine, reproduit en maint endroit ses expressions favorites et a dû être inspiré directement par elle. L’Antidote est aujourd’hui une rareté bibliographique, et M. Barténief, dans sa collection intitulée le Dix-huitième siècle, a trouvé utile d’en publier une traduction en langue russe. Chaque ligne de ce pamphlet compacte trahit contre l’abbé français la plus vive irritation. On ne lui passe pas une expression, on ne lui pardonne pas une erreur, et lorsqu’il rencontre juste, ce n’est pas alors que la réfutation est le moins amère. Grâce à l’acharnement que met l’impérial pamphlétaire à suivre le savant pas à pas et ligne par ligne, la réfutation menaçait d’être aussi volumineuse que l’ouvrage. Il fallut se borner. Les deux premières parties de « l’Antidote, ou réfutation du mauvais livre, superbement imprimé, etc., » furent seules publiées. L’impératrice écrivait en 1773 à Mme de Bielke : « Vous n’en verrez point paraître la troisième partie, l’auteur de cet ouvrage ayant été tué par les Turcs. »

En 1768, on apprit qu’un ancien secrétaire de l’ambassade de France à Saint-Pétersbourg avait composé une relation de la révolution de 1762, dans laquelle Catherine II avait eu un rôle si tragique. Cet opuscule de Rulhière, qui fut en quelque sorte témoin de cette révolution, qui put s’entretenir avec la plupart des acteurs du coup d’état, qui plus tard, rentré à Paris, eut tous les papiers des affaires étrangères à sa disposition, conserve aujourd’hui une valeur considérable. On peut le regarder comme une source historique, presqu’au même titre que les mémoires contemporains. Sans doute il est facile d’y relever des erreurs, mais croit-on qu’on puisse se fier absolument aux Mémoires de la princesse Dachkof ou à la Lettre adressée par Catherine II à Poniatovski? La princesse Dachkof, qui est assez maltraitée dans ce petit livre et qui y est accusée notamment de s’être livrée à son oncle Panine pour obtenir son adhésion au complot, a écrit sur l’histoire de Rulhière un certain nombre d’observations critiques, récemment publiées par M. Barténief dans le septième volume des Archives Voronzof : elles se terminent sur ce jugement peu favorable : « Si un petit ouvrage comme celui dont il est question a provoqué ces remarques de ma