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il se mêla à toutes les luttes intellectuelles qui agitèrent alors Paris; Gluck, venu en France à la suite de Marie-Antoinette, avait à vaincre les préjugés des « sauvages Parisiens, » et rencontrait presque autant de résistance que certain compositeur allemand de notre temps; Grimm entra dans la mêlée et publia une brochure en faveur de la musique nouvelle. Il fut d’abord l’ami, puis l’ennemi de Rousseau; il se lia avec Diderot et fit de concert avec lui les lettres qui formèrent plus tard les seize volumes de la Correspondance littéraire; il devint l’intime de d’Alembert et de presque tous les encyclopédistes, un membre attitré de la grande confrérie philosophique. Il ne retourna en Allemagne que pour s’y faire donner le titre de ministre de Saxe-Gotha auprès de la cour de Versailles, comme si la France l’attirait invinciblement, comme si elle était la vraie patrie de tous les penseurs. Mais la nature de Grimm était double : il ne pouvait se priver ni de fréquenter les libres philosophes, ni de servir les princes. Il voyagea en Russie, devint à Paris le correspondant littéraire de l’impératrice, comme il l’avait été du duc de Gotha. Les journaux d’alors ne renfermaient pas cette masse de nouvelles à la main, de bruits de coulisses, de critiques théâtrales, d’informations littéraires qu’on exige d’eux aujourd’hui. La plupart des princes avaient donc à Versailles ou à Paris des correspondans particuliers qui les tenaient au courant des choses du jour. C’est ainsi que le grand Maurice de Saxe fut pendant quelque temps le chroniqueur, le reporter, comme nous dirions aujourd’hui, de son frère le roi de Pologne. Plus tard Grimm, dont les papiers avaient été saisis à Paris lors de la révolution, devint ministre de Russie auprès du cercle de Basse-Saxe et mourut à Gotha en 1807.

Sur ses relations avec Catherine II, la Société impériale a publié des documens fort curieux et jusqu’à présent complètement inédits : d’abord une longue note qui porte ce titre singulier : Mémoire historique sur l’origine et les suites de mon attachement pour l’impératrice Catherine II, Jusqu’au décès de sa majesté impériale; puis la correspondance de la tsarine avec Grimm pendant le séjour de celui-ci à Paris. C’est en 1773 que le baron Melchior était venu pour la première fois à Saint-Pétersbourg, à la suite de la landgrave de Hesse-Darmstadt, qui venait marier sa fille au fils unique de Catherine, plus tard Paul Ier. Sa réputation littéraire, ses relations avec Diderot le désignèrent à l’attention de l’impératrice. Tous les soirs à son jeu, elle lui adressait la parole avec bonté et finit par lui proposer d’entrer à son service. Grimm lui demanda une audience particulière de cinq minutes, mais l’entretien dura plus d’une heure et demie, et Grimm, dans son Mémoire, nous en a conservé le récit le plus piquant. On y démêle à la fois l’orgueil de l’homme de