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entamée sur quelques points, la Bourgogne espère se défendre en étouffant, même à très haut prix, les premiers foyers du mal : elle frémit à l’idée que les vignes américaines viendraient même à titre d’auxiliaires empiéter sur le domaine de ses grands vins. Le Bordelais, non moins fier, mais profondément atteint, invoque de loin comme un pis-aller le secours des vignes exotiques, mais avec le secret espoir que la destruction de l’œuf d’hiver, en sauvant ses vignes indigènes, le dispensera de cet appel à l’étranger. Plus éprouvé et moins difficile dans le choix des armes de défense, le Midi, sans renoncer à ses cépages traditionnels, pense les voir reverdir sur les racines robustes des vignes des États-Unis et caresse même l’espérance que, parmi ces étrangères que d’autres méprisent ou redoutent, il pourrait s’en trouver qui seraient pour leur pays d’adoption des éléments nouveaux de richesse; on n’y renonce pas à la guérison directe des vignes françaises, mais on craint que le remède n’arrive alors que le malade sera mort. Pendant ce temps, l’idée de supprimer ou plutôt de réduire à l’impuissance l’ennemi commun, séduit tout le monde, mais il y a loin encore des indications, d’ailleurs précieuses, de la théorie, aux résultats certains de l’application. A vrai dire, on doit moins rêver un remède unique applicable à tous les pays qu’un ensemble de moyens adaptés aux conditions climatologiques, culturales et surtout économiques de chaque centre viticole. Voilà pourquoi, loin d’établir entre les divers système de défense des rivalités et des antagonismes stériles, il vaut mieux emprunter à chacun ce qu’il peut donner de bon, en combiner au besoin plusieurs, les renforcer l’un par l’autre, demander à la submersion, à l’ensablement leurs effets utiles, au sulfure de carbone sa puissance insecticide, aux sulfocarbonates alcalins leur action à la fois toxique et fertilisante, au badigeonnage des ceps la destruction de l’œuf d’hiver, aux vignes américaines résistantes l’appui de leurs racines robustes, et s’il faut le produit trop déprécié de leurs grappes. Ne renonçons pas à nous éclairer de l’expérience des autres, mais ne cessons pas de chercher nous-mêmes : surtout gardons-nous de condamner en bloc et sans appel ce que nous n’avons pu voir ni juger sur place. Les jugemens passent, la vérité reste ; or la vérité, dans ce cas, c’est ce qui permettra au vigneron, par une voie ou par une autre, de retrouver des récoltes et par là de rouvrir les sources taries de l’aisance ou de la richesse. Les moyens peuvent différer, le but est le même et vaut bien la peine d’être poursuivi de plusieurs côtés à la fois.


J.-E. PLANCHON.