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n’ont pas craint de donner aux vignerons. Il est vrai que ces conseils, venus des pays indemnes et goûtés tant que le mal était loin, n’ont pas empêché les paysans, dans les contrées infectées, d’ouvrir les yeux à l’évidence et de regarder l’ennemi en face au lieu d’en rêver la disparition spontanée.

Une illusion du reste a pu propager sur quelques points ces espérances trop optimistes, c’est la demi-résurrection de certaines vignes qu’on avait crues condamnées à la mort et qui, laissées à elles-mêmes, ont repris au bout d’un ou deux ans une sorte de vigueur. Des faits de ce genre, connus depuis longtemps et toujours exceptionnels, s’expliquent par une double raison : d’abord parce que les phylloxéras, désertant les racines très malades, ont émigré de ces vignes très compromises sur des vignes encore saines, et secondement parce que les ceps ainsi délivrés du parasite, et placés dans un sol fertile et frais, ont poussé rapidement des radicelles nouvelles et saines, source où des pampres vigoureux ont puisé des sucs abondans. Ailleurs, comme dans les riches alluvions des rives du Rhône et de la Durance, des infiltrations des hautes eaux ont pu produire sur les vignes, dans le sens du bas vers le haut, le même effet de submersion que M. Faucon obtient du haut vers le bas dans le système de la submersion automnale. Mais des résultats de ce genre, toujours limités, toujours précaires, toujours sujets à des retours offensifs de la maladie, ne justifient nullement la théorie de la guérison spontanée.

Parmi les théories spécieuses qui risquent de séduire les gens du monde, une des plus tenaces est l’idée que des plantes à odeur forte cultivées entre les vignes doivent en chasser les insectes et notamment le phylloxéra. Le chanvre, le lupin, la camomille, le pyrèthre, la valériane, figurent en tête de ces herbes prétendues insectifuges. On retrouverait chez les anciens la trace de cette opinion; mais l’antiquité d’une erreur n’en fera jamais une vérité: rien n’est moins fondé que cette soi-disant action des odeurs. Que des émanations de matières résineuses, d’essences, de camphre, de gaz divers puissent, dans un espace confiné, créer une atmosphère toxique capable de tuer ou d’écarter les animaux d’ordre inférieur, c’est une observation de ménagère pour la conservation des étoffes et des fourrures ; mais qu’en plein champ, dans l’air que le vent balaie, sous le sol où l’air circule, des insectes de tout ordre dévorent ou sucent les plantes les plus vénéneuses ou les plus désagréablement odorantes, c’est ce que savent tous les entomologistes. Les pucerons en particulier sont fréquens chez des ombellifères vireuses, sur les armoises, les absinthes, le sureau, le pavot, les térébinthes, et beaucoup d’homoptères souterrains dont la vie rappelle